L’Arabie Saoudite ne fait pas vraiment rêver les voyageurs internationaux. Plus pour très longtemps ? Le royaume ultra-conservateur est bien décidé à gommer la mauvaise image qu’il traîne et s’est mis en tête de booster l’industrie touristique, très largement dominé jusqu’ici par le tourisme religieux. Les autorités entendent bien se servir de l’énorme manne qu’apporte le pèlerinage dans les Lieux saints de l’islam pour entreprendre le virage.
Le tourisme pour se préparer à l’après-pétrole
L’Arabie Saoudite entreprend ainsi de mettre en valeur plusieurs sites archéologiques comme celui d’Al-Ula, un oasis aussi grand que la Belgique inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco et que MBS veut voir rivaliser avec Petra, en Jordanie, avec le concours de la France. En parallèle, elle s’attelle à la transformation d’une cinquantaine d’îles de la mer Rouge en stations balnéaires de luxe, à la construction de la cité futuriste Neom en plein désert ou encore à celle de la cité du divertissement d’Al-Qiddiya, proche de la capitale Riyad.
L’objectif affiché des autorités : attirer 30 millions de visiteurs par an d’ici à 2030. Selon le salon Arabian Travel Market, les arrivées internationales devraient augmenter de 5,6 % par an, passant de 17,7 millions en 2018 à 23,3 millions en 2023.
Le marché du pèlerinage en pleine mutation
Dans les années à venir, « le pèlerinage sera un produit touristique comme un autre, à ceci près qu’il restera réservé aux musulmans », nous indique Kamel S. (prénom modifié), un professionnel du secteur en France, qui observe avec circonspection « une mutation du marché du hajj en cours ». « Le futur hajj que l’Arabie Saoudite veut faire accomplir aux fidèles se dessine maintenant sous nos yeux. 2019 est une année charnière dans l’organisation nouvelle du pèlerinage, avec beaucoup de nouveautés qui s’installent et qui nécessitent une adaptation des agences en France et, en conséquence, des prix », assure-t-il.
Quelles conséquences pour les agences hajj?
Se lancer dans le tourisme non religieux ? Le problème, c’est que « nous (professionnels du hajj, ndlr) n’avons pas de visibilité sur l’avenir car nous faisons face à beaucoup d’incertitudes. Ce qui est sûr, pour la France, c’est que le hajj sera de plus en plus cher et cela ne voudra pas dire que la qualité sera forcément au rendez-vous. En tous cas, il ne faudra pas s’attendre à ce que les prix baissent », nous dit-il avec une lucidité froide.
Aujourd’hui, il faut compter au minimum 6 000 € pour un forfait hajj classique, sans compter les options hors forfait (assurance voyage, mouton de l’Aïd…) et les dépenses personnels. Le voyage a donc un coût qui, même justifié, est inabordable pour de nombreux musulmans, qui les conduit de plus en plus à se contenter d’une omra, bien plus accessible (1 000 € pour les premiers prix) et sans contrainte de dates.
Plusieurs facteurs expliquent un coût du hajj qui tend vers la hausse, à commencer par le lifting complet des lieux sacrés qui a entraîné une rénovation profonde du parc hôtelier et des infrastructures de transports à La Mecque. Le fait que le hajj s’organise en été depuis 2016 (et jusqu’en 2024) implique, en outre, une hausse conséquente des prix des billets d’avions, en partie liée à une saturation saisonnière du trafic aérien. Autant de coûts supplémentaires incompressibles (ajoutés à ceux, de plus en plus nombreux, imposés par l’Arabie) qui ne sont pas pour aider les agences à atteindre les quotas de places qui leur sont accordés, d’autant que le hajj est le voyage type qui ne se fait en général qu’une fois dans la vie d’un musulman.
L’avenir des agences étrangères est toutefois le cadet des soucis de l’Arabie Saoudite, qui travaille à valoriser de plus en plus son vivier de femmes (57 % de la population) et de jeunes (moins de 30 ans, 58 %). Une nécessité si elle veut vraiment changer de paradigme.