Le Covid-19 fait bouger les lignes en Afrique. Depuis quelques semaines, l’Angola n’est plus la troisième puissance économique africaine. D’après les dernières estimations du Fonds monétaire international (FMI), le PIB du pays va en effet se contracter cette année de 1,4 %. Au contraire de celui du Kenya, son remplaçant sur le podium des économies du continent, qui devrait augmenter, lui, de 1 %. En cause ? Une interruption quasi totale de l’exploitation de pétrole. Le ralentissement de l’économie mondiale, et de celui de la Chine, premier client de l’Angola, a mis les forages des grandes sociétés internationales pétrolières opérant dans le pays ? ExxonMobil, Chevron, Eni, Total et BP ? à l’arrêt. Et les dépenses prévues dans le secteur par celles-ci ont été largement revues à la baisse, de l’ordre de plusieurs milliards de dollars.
Le Covid-19 est venu aggraver une situation déjà préoccupante
Si la pandémie de coronavirus a bien porté un coup aux activités du pays, la crise économique que traverse actuellement l’Angola est en réalité bien plus profonde. « Le Covid-19 a effectivement aggravé quelques problèmes. Mais à l’échelle de ces cinq dernières années, ces trois mois sont anecdotiques », affirme Jon Schubert, professeur à l’université Brunel de Londres. Pour lui, « la crise de 2014 avait déjà relevé les failles systémiques du pays ». À l’origine de la crise pour les autorités : la fluctuation des prix du pétrole dont l’État tire un tiers de ses revenus. Mais pour ce spécialiste de l’Angola, l’explication est ailleurs. « La volatilité des prix de l’or noir n’est que le déclencheur. C’est la gestion des revenus pétroliers qui est à l’origine de la récession que traverse le pays depuis maintenant quatre ans. »
Deuxième plus grand producteur de pétrole en Afrique subsaharienne et membre de l’Opep avec environ 1,37 million de barils de pétrole par jour, le potentiel de l’Angola est immense. Mais la corruption pratiquée au sommet de l’État pendant les quatre décennies de l’ère Dos Santos a annihilé tout développement à grande échelle. Le monopole et la gestion de la puissante entreprise d’État chargée de l’exploitation et de la production de pétrole et de gaz naturel Sonangol, dénoncée en janvier dans les Luanda Leaks, n’ont pas permis aux 32 millions d’habitants de récolter les fruits des réserves angolaises. « La faim et la misère font partie aujourd’hui du quotidien de beaucoup d’Angolais, déplore Manuel Alves da Rocha, professeur d’économie à l’université catholique de Luanda. Dans les périphéries des grandes villes et de la capitale, l’aide humanitaire ne faiblit pas. Beaucoup n’ont pas accès à l’eau, à l’électricité et aux soins de santé de base. »
Joao Lourenço, un espoir et puis rien
L’arrivée au pouvoir du nouveau président Joao Lourenço en septembre 2017 avait pourtant suscité beaucoup d’espoir. Dès les premiers mois de son mandat, l’ancien secrétaire général du parti-État MPLAse lance dans une vaste campagne anticorruption. Objectif ? Assainir l’économie, et attirer les investisseurs étrangers. Deux mois après sa prise de pouvoir, il limoge Isabel Dos Santos, la fille de l’ex-président et présidente de Sonangol, puis son demi-frère José Filomeno Dos Santos, dirigeant du Fonds souverain angolais en janvier 2018. Quelques mois plus tard, le chef des services de renseignement (SINSE) est remplacé, ainsi que le chef d’état-major de l’armée, après son inculpation dans une affaire de corruption portant sur 50 milliards de dollars.
Parallèlement à cette « chasse aux sorcières », Joao Lourenço s’engage dans un vaste programme de réformes économiques. Le plan national de développement 2018-2022 promeut le développement humain, la réforme du secteur public, la croissance inclusive et la diversification de l’économie. Selon le ministre de l’Énergie João Baptista Borges, l’État prévoit la construction d’infrastructures d’une capacité d’environ 600 MW d’énergie solaire dans le pays d’ici à 2022, avec l’installation d’environ 30 000 systèmes individuels de production d’énergie photovoltaïque. La privatisation des actifs énergétiques de l’État, mais aussi des banques, des ports et des sociétés de télécommunications est également lancée.
« L’action de Joao Lourenço et le lancement de réformes économiques ont suscité beaucoup d’euphorie dans la population, surtout les premières de son mandat, explique Jon Schubert. Mais aujourd’hui, la déception prend le dessus. Les Angolais ont du mal à voir les effets concrets de sa politique, car leur quotidien, lui, n’a pas beaucoup changé. Cela fait quinze ans qu’ils entendent parler de diversification économique, dans l’agriculture notamment, pour au final peu de résultats et pas vraiment d’impact. »
Le même MPLA est au pouvoir
Un constat partagé par Manuel Alves da Rocha, qui « personnellement […] ne s’est jamais laissé entraîner par la vague d’optimisme des premiers mois ». En effet, pour l’économiste, « lorsqu’une économie stagne, lorsque les indicateurs du climat des affaires restent très problématiques, lorsque le capital humain ne correspond pas aux exigences posées par les transformations structurelles des tissus économiques, lorsque les institutions n’existent pas, lorsque l’instabilité institutionnelle est élevée, et lorsque le gouvernement continue de prendre des décisions inappropriées dans la réalité actuelle ? l’acquisition de 200 véhicules haut de gamme destinés aux ministres, secrétaires d’État et autres membres de la nomenclature, l’investissement de 42 millions de dollars pour construire le siège de la Commission électorale nationale ? il ne peut y avoir d’investissements privés, en particulier en provenance de l’étranger ».
Malgré « les réformes », « les efforts de transparence » et « les investissements obtenus », « le MPLA gouverne encore, l’ADN est toujours le même », regrette-t-il. L’accord de facilité de crédit obtenu en décembre 2018 auprès du FMI, d’une durée de trois ans et d’un montant significatif de 3,7 milliards de dollars, ne convainc pas plus. « L’intervention du FMI reste très controversée, car elle se concentre exclusivement sur les aspects de la stabilisation des finances publiques et des taux de change, laissant les questions sociales, la reprise de la croissance et l’emploi en arrière-plan », soutient-il.
Près de trois ans après l’accès à la présidence de Joao Lourenço, le constat est amer. L’Angola peine à se dépêtrer du marasme économique dans lequel il s’est enfoncé sous José Eduardo Dos Santos. Pour Jon Schubert, « même si sa démarche est sincère, la tâche de Joao Lourenço reste immense. Il faut une mutation en profondeur, des mesures très radicales. Mais le gouvernement n’a pas l’argent pour les mettre en place », affirme l’enseignant-chercheur. De quoi mesurer l’immensité de sa tâche.