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CORONAVIRUS : COMMENT L’ALLEMAGNE EST PARVENUE A GÉRER LA CRISE

L’Allemagne s’est pleinement saisie de ses atouts pour maîtriser la crise sanitaire mieux que ses voisins. Tiraillée entre l’impératif sanitaire, les frustrations sociales et les injonctions économiques, elle amorce prudemment son déconfinement.

L’étau du confinement en raison de l’épidémie de Covid-19 s’est desserré sur les Allemands, lundi 20 avril, avec l’octroi de premières libertés. Parcourir les rayons d’une librairie, flâner dans un magasin de plus de 800 m2, acheter une voiture chez un concessionnaire, ou préférer les magasins de vélos : tout cela est redevenu possible.

Pour ne rien gâcher, les Allemands ont pu amorcer ces changements le cœur plus léger. Depuis vendredi 17 avril, l’indicateur numéro un que guette l’Institut de veille sanitaire Koch est passé au vert : le taux de reproduction du virus (le nombre de personnes qu’un malade contamine) est inférieur à 1. Établi à 0,7, il garantit de ne pas atteindre la surcharge des hôpitaux.

Le fléau endigué plus vite que chez les voisins

L’Allemagne peut se féliciter d’avoir endigué le fléau plus vite que ses voisins, avec un taux de létalité parmi les plus faibles d’Europe (4 586 décès lundi 20 au matin, contre 19 718 morts en France). L’épidémie est désormais « sous contrôle », s’est félicité le ministre de la santé, Jens Spahn. Mais le gouvernement se garde de tout triomphalisme.

« Nous devons faire preuve d’une extrême prudence car des vies humaines sont en jeu », rappelait la semaine passée la chancelière Angela Merkel, qui s’est dite « très préoccupée », lundi 20 avril, par un éventuel relâchement de ses concitoyens. En effet, rien n’est gagné. Les foyers les plus vifs sont maîtrisés mais « le virus va maintenant se propager dans toute l’Allemagne au cours des prochaines semaines et des prochains mois, au cours de l’été », explique Christian Drosten, le très écouté virologue en chef à l’hôpital de La Charité à Berlin. Rien n’est gagné non plus dans les Ehpad où le virus fait un nombre croissant de victimes.

Les Allemands impatients, mais confiants

Malgré les pressions des cercles économiques pour reprendre l’activité, le pays, officiellement en récession, devrait continuer à tourner au ralenti jusqu’au 3 mai. L’école reprendra progressivement, selon les Länder, à partir du 4 mai (une semaine plus tard en Bavière), en commençant par les élèves les plus âgés. Les grands rassemblements (foires, festivals) sont proscrits au moins jusqu’à fin août.

Cela génère inévitablement des frustrations. La règle de fermeture est ressentie comme arbitraire par les plus petits commerces. Les supporteurs de la Bundesliga, le championnat de football professionnel, font grise mine. Et l’Église catholique proteste : toujours pas de messes, même sécurisées.

Les Allemands regardent parfois avec envie la Suède, qui a fait le choix de préserver l’économie et les libertés individuelles, tablant sur la responsabilité de chacun. Une position que défendent les libéraux du FDP, dans l’opposition.

Mais si les Allemands trépignent, ils font très majoritairement confiance aux autorités : 88 % d’entre eux approuvent la méthode choisie, selon un sondage publié dans le quotidien Die Welt.

 Très tôt des dépistages

Sans doute ont-ils raison de donner quitus à des dirigeants qui ont réagi très tôt, très fort. Dès qu’un premier malade a été identifié en Bavière, le 27 janvier, les autorités sanitaires, qui disposaient déjà de tests mis au point par l’hôpital de La Charité, ont procédé à des dépistages systématiques des personnes en provenance de Chine et d’autres zones à risque : l’Italie, ou le Tyrol autrichien. Des foyers se sont formés en Bavière, dans le Bade-Wurtemberg ou à Heinsberg (Rhénanie-du-Nord-Westphalie) – en raison de transmissions au carnaval de Gangelt.

La solidité d’un modèle

Le 22 mars, le gouvernement a décrété un confinement, avec liberté de sortir par deux et sans attestation. Mais l’Allemagne n’a jamais rompu avec sa logique de test massif. Au contraire, elle possède aujourd’hui la plus grande capacité en Europe : 500 000 par semaine. Un niveau que la France espère égaler d’ici au 11 mai. Les cas (145 184, lundi 20 au matin) ont ainsi été plus facilement confirmés, les chaînes de contagion brisées avec plus d’efficacité.

L’Allemagne disposait d’une impressionnante puissance de feu comparée à ses voisins. Le pays ne fait venir que 0,8 % de ses produits médicaux de Chine ou d’Inde. « Cela contredit la thèse selon laquelle l’Allemagne serait essentiellement dépendante des importations de pays asiatiques », souligne l’institut de recherche économique IFO.

Son tissu de PME dans l’industrie pharmaceutique s’est montré capable de produire vite et en grande quantité. Et ce n’est pas terminé. Le gouvernement vient de passer commande : 50 millions de masques seront produits chaque semaine sur le sol allemand à compter du mois d’août. Sans attendre cette date, la ville d’Iéna, en Thuringe, expérimente le port du masque obligatoire. Le Land de Saxe a décidé d’obliger la population à se couvrir la bouche dans l’espace public, comme la Bavière et le Mecklembourg-Poméranie-Occidentale.

Le repli ou la solidarité

Autre atout maître : avec 500 000 lits d’hôpitaux, l’Allemagne affiche 8,3 lits pour 1 000 habitants, contre 6,4 pour la France. Les Länder, qui gèrent leurs besoins, ont été bien inspirés de résister aux recommandations insistantes de réduire les coûts. Cette capacité hors norme leur a notamment permis de réserver 98 lits aux patients français, et 85 aux Italiens. Une solidarité consentie à partir du 24 mars, alors que l’Allemagne essuyait de lourdes critiques de la part de ses voisins en détresse

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« Il ne faut pas que dans une situation de stress, l’Allemagne retombe dans un schéma de repli national », alerte Frank Baasner directeur de l’Institut franco-allemand de Ludwigsburg. Selon lui, l’appel retentissant de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen – une Allemande – a eu du poids. « Siamo tutti italiani » (« Nous sommes tous italiens »), a-t-elle clamé depuis Bruxelles le 11 mars.

Pour endiguer la propagation du coronavirus, l’Allemagne filtre ses frontières

La région Grand Est, en France, venait d’être déclarée « zone à risque » par l’institut Robert-Koch. Des actes antifrançais avaient été recensés dans la Sarre, avec des scènes de crachats et d’insultes envers les transfrontaliers. « Retourne dans ton pays du Coronavirus ! », a-t-on pu entendre.

Heureusement, les solidarités n’ont pas tardé. La semaine du 16 mars, le Bade-Wurtemberg et la ville de Fribourg entendaient l’« appel à l’aide » de Brigitte Klinkert, présidente du conseil départemental du Haut-Rhin. Aujourd’hui, des juristes issus du cursus franco-allemand MEGA ont lancé une pétition pour rouvrir la frontière au nom de l’amitié entre les deux pays, alors que la frontière avec la Belgique n’est pas fermée. Ce n’est pas pour tout de suite. Les contrôles ont été prolongés au moins jusqu’au 3 mai.

Jean-Baptiste François, le 20/04/2020 à 18:01 Modifié le 20/04/2020 à 19:49

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