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COTE D’IVOIRE : LA DURE REALITE DES GROSSESSES PRECOCES CHEZ LES JEUNES FILLES SCOLARISEES

Déscolarisation, avortement clandestin, rejet de la famille, les conséquences peuvent être dramatiques pour les quelque 3 000 à 5 000 mineures qui tombent enceintes chaque année en Côte d’Ivoire.

Kouamé s’en veut encore : « Si j’avais pu habiter avec ma fille, peut-être que tout cela ne serait pas arrivé ». Ce planteur de cacao qui réside en brousse a construit une maison pour ses enfants dans un quartier périphérique de Méagui, petite ville du sud-ouest de la Côte d’Ivoire où se trouve leur lycée. Conséquence : un manque d’encadrement responsable, selon lui, de la grossesse précoce de sa fille Edwige, à seulement 13 ans.

« Un bébé qui a un bébé »

« J’avais honte, mais je ne voulais pas arrêter l’école », confie l’adolescente d’une petite voix. Edwige est alors orientée vers le centre social de Méagui, partenaire local de Médecins du monde, qui a mis en place un projet de quatre ans sur les grossesses précoces dans la région. « Ils m’ont dit de ne pas avoir peur, qu’ils allaient prendre soin de moi, qu’il fallait continuer à aller à l’école », se souvient la lycéenne aujourd’hui en classe de seconde et mère d’un enfant de deux ans. « Un bébé qui a un bébé », comme on dit en Côte d’Ivoire.

Au centre social, Ange César Assi, éducateur, prend en charge les cas de ces très jeunes « filles ». Il leur offre avant tout une oreille bienveillante, les oriente vers le personnel médical, convainc les parents de ne pas abandonner leur fille et, dans certains cas, recherche le géniteur.

Selon un rapport de la Direction de la mutualité des œuvres sociales en milieu scolaire, dans plus de la moitié des cas, il s’agit d’un homme plus âgé offrant un repas ou un peu d’argent en échange d’une relation sexuelle. Des faits relevant du viol de mineure mais souvent réglés à l’amiable. « Les parents se demandent qui va s’occuper de l’enfant si le géniteur est en prison. Alors ils s’entendent, on signe un procès-verbal et on fait un suivi : il doit contribuer financièrement afin que la jeune fille retourne à l’école », explique Ange César Assi.

Recours à l’avortement clandestin

Selon cette même étude, 40 % des auteurs de grossesses précoces sont des élèves. « Certains refusent carrément de reconnaître les faits par peur que leurs parents les déscolarisent », poursuit l’éducateur. Mariam, 17 ans est tombée enceinte il y a deux ans et son petit ami s’est volatilisé. La jeune fille a non seulement été rejetée par son père, mais son bébé est mort à la naissance. Grâce à la médiation de l’éducateur, elle a pu réintégrer sa famille et suit une formation d’aide-soignante. « Si au moins, le bébé était resté, ça m’aurait donné le courage », dit Mariam, le regard perdu.

Le recours à l’avortement clandestin, dans des conditions déplorables, est massif : entre 200 000 et 300 000 cas par an, soit 4 à 5 % des femmes en âge de procréer. En Côte d’Ivoire, il n’est officiellement autorisé qu’en cas de danger pour la vie de la mère ou de l’enfant. Et l’Église catholique s’est opposée au projet de loi du gouvernement d’y ajouter les cas d’inceste et de viol.

Prendre des « décisions responsables »

« Il arrive qu’une jeune fille se présente après un viol, sans connaître l’auteur de la grossesse, n’ayant personne pour l’accompagner, ses parents n’acceptant pas qu’elle soit mère sans être mariée, constate Ladji Kouyaté, médecin chef du service de santé scolaire et universitaire à Méagui. Humainement, ce n’est pas acceptable qu’elle garde le bébé, mais c’est la loi. »

Le mariage des enfants continue de reculer

Pour prévenir ces grossesses non désirées, Médecins du Monde a sensibilisé près de 30 000 jeunes à la contraception en quatre ans, dont trente-cinq ambassadeurs et ambassadrices qui organisent eux-mêmes des ateliers au sein des établissements. « Nous n’encourageons pas le libertinage sexuel », prévient Florence Kouadio, coordinatrice dans la région de la Nawa. « Les études le démontrent : les adolescents sont sexuellement actifs de manière précoce. Les grossesses précoces existaient bien avant la mise en œuvre de ce projet », poursuit-elle. « Notre travail a été de donner le maximum d’informations fiables pour qu’ils prennent des décisions responsables ».

Les grossesses précoces en chiffres

►Depuis 2013, l’éducation nationale ivoirienne a fait de la lutte contre les grossesses précoces l’une de ses priorités, mais on dénombre encore entre 3 000 et 5 000 cas par an, en dépit du programme « Zéro grossesse en milieu scolaire ».

►16 ans : c’est l’âge médian de la première grossesse. Plus d’un tiers d’entre elles se termine par un avortement.

►Médecins du monde a accompagné 156 jeunes filles enceintes, donné accès à la contraception à 2 700 adolescentes et sensibilisé près de 30 000 jeunes sur leurs droits en santé sexuelle et reproductive.

►L’Union européenne, principal bailleur, n’a pas pu renouveler ses financements à cause de la pandémie.

Amandine Réaux, envoyée spéciale à Méagui et Soubré (Côte d’Ivoire), le 23/03/2021

 

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