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DON DE SPERME : LES DONNEURS CONFRONTES A DES INTERROGATIONS INTERNES

Agence de biomédecine lance, jeudi 21 octobre, une campagne de recrutement pour trouver de nouveaux donneurs de gamètes, dont la demande explose, depuis la promulgation de la loi de bioéthique, en août. D’anciens donneurs racontent à « La Croix » leurs motivations, leurs questionnements et parfois leurs doutes.

Des sourires. Des tests de grossesse affichant un « merci », en gros plan. Et un appel : « Merci de leur permettre de devenir parents ! » Voilà le message de la campagne lancée ce jeudi 21 octobre par l’Agence de la biomédecine pour recruter de nouveaux donneurs de gamètes et constituer des stocks (lire ci-après).

Donner son sperme, Thomas, 42 ans, 3 enfants, a effectué la démarche en 2009. « Je voulais aider des couples à devenir parents », déclare-t-il. Au début des années 2000, lui et son épouse ont rencontré des difficultés à concevoir leur premier enfant. « Grâce à un traitement, nous avons finalement réussi à avoir un enfant, puis deux, puis trois. Sans recours à un donneur, mais tous les couples n’ont pas eu notre chance. Donner des gamètes, c’était une façon de les soutenir. »

Une culture du don

Louis Bujan, professeur de médecine et de biologie de la reproduction, a étudié, en 2018, les motivations des donneurs de gamètes, hommes ou femmes. Il distingue deux grands profils. Les « concernés », qui ont connu des difficultés ou vu des proches en traverser ; et les « spontanés », habitués au don « de leur temps, de leur argent » et pour qui « donner des gamètes, c’est comme donner son sang ».

Une évidence ? Sans aucun doute pour Jacques, 73 ans, qui a donné ses gamètes en 1985 et pour qui les spermatozoïdes ne sont que « du matériel biologique ». « On donne son sang pour aider à sauver des vies. On donne son sperme pour aider à créer une vie », affirme-t-il.

Pas si simple pour Thomas. Lui aussi, au départ, mettait les deux gestes au même niveau. « Mais donner ses gamètes est tout de même plus… engageant, nuance-t-il. Ce ne sont pas que des cellules, c’est une hérédité ! Je ne me suis jamais interrogé sur ce que devenaient mes dons de sang. Plus de dix ans après mon don de sperme, je suis toujours en plein questionnement. Le don de gamète, c’est du long terme. »

Un don pas comme les autres

Le long terme, c’est justement ce qui fait hésiter Denis, 33 ans : « Je voudrais rendre service à ceux qui ont un désir d’enfant. Mais ce n’est pas un don comme un autre! Il y a une forme de responsabilité. Les enfants qui vont naître auront 50 % de mon patrimoine génétique, le même sang que mes deux petits garçons. Ce n’est pas neutre. Et puis, fournir des gamètes, même pour la bonne cause, n’est-ce pas instrumentaliser le corps ? »

Il cogite, Denis, et s’autorise le temps de la réflexion. « Tout candidat aux dons peut se voir conseiller un entretien psychologique, pour s’assurer de sa motivation, mesurer les périmètres de son geste, souligne Louis Bujan. Depuis 2016, il est même obligatoire pour les donneurs n’ayant jamais procréé. À nous de transmettre de la façon la plus claire toutes les informations pour qu’ils se disent : “J’y vais”. Ou non ».

Bientôt, ces candidats au don devront également tenir en compte de la levée de l’anonymat. Celle-ci s’imposera à partir du 1er septembre 2022, au nom du « droit à l’accès aux origines » institué par la nouvelle loi. L’identité des donneurs pourra être transmise à tout enfant en faisant la demande. « Certains vont angoisser à la perspective d’être retrouvés », anticipe Jacques. À l’entendre, pourtant, rencontrer le fruit de son don est « un cadeau » : « On est libre des informations que l’on veut donner, et libre aussi des relations que l’on nouera ou non. » Il sait de quoi il parle.

En mai 2020, un certain Alexandre, né de son don, lui a téléphoné : « Je suis tombé de l’armoire. Mes filles aussi. » Depuis, elles considèrent « Alex » comme « leur demi-frère ». Mais Jacques, lui, refuse le mélange des genres. « Alexandre est un enfant. Pas mon enfant. » À ses yeux, les choses sont claires.

Des retrouvailles manquées

Ce n’est pas toujours le cas. « Toutes les retrouvailles ne se passent pas aussi bien », tempère Augustin, 56 ans, donneur dans les années 2000. L’an dernier, une jeune fille l’a contacté. « Elle était très insistante, venait m’attendre devant mon bureau, m’appelait papa. Mais moi, j’ai déjà une famille. » Il a préféré ne pas donner suite, non sans culpabiliser. Des réactions « rares », d’après Alexandre Mercier, président de l’association PMAnonyme, qui regroupe des enfants nés de dons. La plupart des enfants cherchent juste la pièce manquante à leur identité. Pas des parents.

Père ? Donneur ? Simple géniteur ? Les motivations se brouillent, parfois. Comme chez Sylvain, 48 ans. Lui a donné son sperme en 2018. Il serait heureux si des bébés « avaient vu le jour », grâce à lui, dont le métier l’« occupe beaucoup » et qui n’a « pas pris le temps de me poser pour construire une famille ». Le don de gamètes est donc, pour lui, une manière de « se prolonger ». Il parle parfois de ses « descendants », avant de se reprendre : « Les enfants, nés de mon don, pardon. » Il les espère « heureux et entourés ».

Et si un jour, les enfants en question le retrouvaient ? « Je ne pense pas que je m’y opposerais », esquisse-t-il. Tous les ans, il autorise le Cecos de Bordeaux à conserver ses prélèvements et s’est aussi inscrit sur différentes plateformes utilisées par les enfants nés d’une PMA en quête de leurs origines. Via des tests ADN, ils découvrent des parents éloignés, remontent des branches généalogiques… jusqu’à leur donneur.

« Si on veut me retrouver, on me retrouvera », résume Sylvain, qui se pose des questions, malgré tout. Par exemple : « Quelles sont les raisons qui pousseraient ces enfants à vouloir me connaître ? » Le besoin de savoir d’où ils viennent ou le manque d’un père ? « À l’époque où j’ai donné, la PMA n’était pas encore autorisée pour les couples de femmes ou les célibataires. C’est désormais le cas. Les enfants, qui ont grandi sans présence paternelle, auront-ils des attentes à mon égard ? » Cela, Sylvain n’est finalement pas sûr de l’assumer. « Ça brouillerait les règles du jeu », pointe-t-il, songeur.

Une nécessité de pédagogie

« Nous sommes déjà très attentifs quand nous choisissons les donneurs. Avec la levée de l’anonymat, il faudra faire preuve d’encore plus de pédagogie pour leur expliquer les répercussions de leur geste », analyse Louis Bujan. Car il y a l’élan du don… et l’après, détaille-t-il. « Quelle sera leur situation dans vingt ans ? Comment réagira leur famille ? Les choses peuvent, avec le temps, se révéler plus complexes qu’il n’y paraît. »

Thomas a pesé et soupesé cette complexité. La nouvelle loi prévoit que les donneurs ayant déjà effectué leur don sous le régime de l’anonymat signalent, d’ici à septembre 2022, s’ils acceptent de transmettre leur identité. Lui ne le fera pas. Son épouse ne le souhaite pas. « Le don a été décidé en couple, la décision de levée de l’anonymat doit l’être aussi. Rester anonyme ne signifie pas que je sois insensible aux besoins des éventuels enfants nés de mon don. Je serais parfaitement disposé à leur donner, s’ils me retrouvaient par eux-mêmes, toutes les informations. »

Cette décision néanmoins le soulage. « J’aurais peur, je crois, de développer de l’affection pour eux. Je ne serais pas sûr de pouvoir contrôler mes sentiments. » Or, « ce ne serait bon ni pour ma femme, ni pour mes enfants, ni, surtout, pour les parents de l’enfant issu de mon don », confie encore Thomas. Solidaire, mais conscient que chacun doit rester à sa place.

Les PMA à l’étranger devraient perdurer

L’Institut national d’études démographiques (Ined) lance l’enquête « AMP sans frontières » pour quantifier le nombre de personnes susceptibles de pratiquer une PMA à l’étranger aujourd’hui en France.

En 2009, selon l’Ined, entre 12 000 et 15 000 PMA transnationales étaient pratiquées chaque année en Belgique, en Espagne, au Danemark, en Slovénie ou en République tchèque (tous pays d’origine des patientes confondus).

Les Français participaient fortement à ces déplacements transnationaux, notamment en Belgique. En dépit de l’évolution de la législation, les difficultés dans la prise en charge médicale et l’organisation de l’AMP continueront à susciter des pratiques transnationales, prédit l’Ined.

PMA (procréation médicalement assistée)

Alice Le Dréau, le 20/10/2021 à 18:08 Modifié le 20/10/2021 à 19:55

 

 

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