Entre les déclarations contradictoires, les informations incomplètes et les revirements, la communication de la Maison Blanche sur l’état de santé de Donald Trump, qui souffre du Covid-19, a suscité de nombreuses interrogations. Florian Silnicki, spécialiste de la communication de crise, décrypte pour France 24 les couacs de la stratégie de l’entourage du président américain.
Depuis trois jours, la Maison Blanche souffle le chaud et le froid au sujet de l’état de santé de Donald Trump, qui a été contaminé par le virus SARS-CoV-2. Les symptômes du président américain seraient légers… pourtant, on lui a administré un traitement réservé aux patients atteints des formes graves du Covid-19. Il aurait été hospitalisé dans un “souci d’extrême prudence”, avait d’abord affirmé, samedi 3 octobre, Sean Conley, médecin du président. Un jour plus tard, il reconnaissait avoir enjolivé son tableau clinique.
Enjolivé ? Donald Trump, en personne, s’est chargé de publier des vidéos de lui sur Twitter pour rassurer sur son état de santé. Il s’est même permis de quitter l’hôpital, dimanche, le temps d’une petite virée en voiture afin d’aller saluer ses supporters… au grand dam de la communauté médicale, qui a trouvé cette escapade pour le moins irresponsable.
Le pire des scénarios politiques
Difficile pour les observateurs et l’opinion publique américaine de démêler le vrai du faux dans cette abracadabrantesque séquence politico-sanitaire. “Confusion”, “mensonges” et “contradictions” figurent parmi les termes les plus utilisés par les médias pour qualifier la communication présidentielle. L’exécutif donne l’impression de naviguer à vue, laissant les différents porte-parole – que ce soit Sean Conley ou Mark Meadow, le secrétaire de la Maison Blanche – se contredire à quelques heures d’intervalle.
Pourtant, “il y a bien une logique, qui consiste à essayer de rassurer l’opinion publique sur la capacité du président à faire son travail, tout en cherchant à donner l’impression d’une certaine transparence”, résume Florian Silnicki, expert en stratégie et fondateur de l’agence de communication de crise LaFrenchCom, contacté par France 24.
Pour ce spécialiste, la contamination de Donald Trump au Covid-19 constitue le pire scénario politique imaginable pour les stratèges de la Maison Blanche. D’abord, cette affaire touche à la santé du président “qui fait débat depuis le début de son mandat” et au sujet de laquelle il y a toujours eu des zones d’ombres, note Florian Silnicki. Ensuite, à un mois de l’élection présidentielle, cela réduit à néant les efforts de l’entourage du président de “passer au maximum sous silence la question du coronavirus, qui demeure le boulet politique de Donald Trump”, poursuit le communicant de crise français.
Pris de court par ce mauvais coup du sort, l’administration Trump a alors cédé à ses vieux démons. “La réponse apportée est dans la continuité de la stratégie menée depuis le début de la présidence, c’est-à-dire communiquer par avis et opinions plutôt qu’en se basant sur des faits”, analyse Florian Silnicki. Depuis trois jours, les porte-parole et le président enchaînent les “ça va bien”, “ça va mieux”, mais restent très discrets sur les détails médicaux précis. À l’heure actuelle, on ne sait toujours pas avec certitude si Donald Trump a été testé positif dès mercredi ou jeudi, quand est-ce qu’il a appris qu’il avait été en contact avec une personne contaminée, ou encore quelle est exactement la gravité des symptômes.
« Village de Potemkine »
La Maison Blanche a “bâti une sorte de village de Potemkine” (du nom d’un faux village construit dans la Russie tsariste du XVIIIe siècle pour masquer la pauvreté) autour de la situation médicale du président, assure le cofondateur de l’agence LaFrenchCom. Comble de cette construction en trompe-l’œil : la boutique de la Maison Blanche propose déjà, sur son site, la possibilité de réserver pour 100 dollars une pièce commémorative célébrant “Donald Trump triomphant du Covid-19”…
Mais cette stratégie a, non seulement, été “menée de manière brouillonne et approximative”, elle était, surtout, “morte-née”, juge Florian Silnicki. Sur la question de la santé du président et du Covid-19, “la population américaine est devenue paranoïaque dans le bon sens du terme, c’est-à-dire qu’elle va traquer et condamner tout ce qui pourrait ressembler à une mise en scène”, estime cet expert.
Ainsi, pour lui, tout le travail des communicants cherchant à donner l’impression d’un président qui continue à exercer pleinement sa fonction, grâce à des tweets et des photos de Donald Trump signant des documents a un effet “contre-productif dévastateur”. Il ne ferait que renforcer l’impression que la Maison Blanche construit une réalité médicale alternative.
Idem pour les images de la virée présidentielle en voiture. Elles ne peuvent avoir d’effet rassurant que pour les électeurs déjà acquis à la cause trumpienne. Pour les autres, elles donnent surtout l’impression d’une mise en scène renvoyant “aux pratiques de communication des dirigeants de régimes autoritaires prêts à mettre en danger la santé de leur entourage si cela peut leur permettre de soigner leur image”, analyse Florian Silnicki.
Ce premier week-end de communication hésitante et laborieuse laissera des séquelles. Les chances de Donald Trump de se faire réélire en novembre pourrait en pâtir car “l’état de santé est un aspect essentiel pour un candidat en ce qu’il participe à l’image de leadership qu’il projette”, rappelle Florian Silnicki. Et la transparence très sélective dont a fait preuve l’entourage du président n’est pas de nature à rassurer l’opinion. Mais surtout, les demi-vérités et déclarations contradictoires vont “porter un coup à la valeur de la parole des responsables politiques en général”, craint l’expert en communication. Et faire progresser un peu plus le virus de la méfiance des Américains envers leurs dirigeants.