vendredi, décembre 13, 2024
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DOUMBOUYA MAMADY: LE COLOSSE QUI RECONNAIT SES LIMITES  ET CHOISIT SES COLLABORATEURS EN CONSEQUENSE

Cet article de Marième Soumaré avec Diawo Barry, paru dans Jeune Afrique était intitulé à l’origine : «  DOUMBOUYA MAMADY, UN COLOSSE AUX PIEDS D’ARGILE »

Après lecture nous lui avons donné le titre qui barre la Une de ce texte

Le 5 septembre dernier, le chef des forces spéciales de Guinée renversait le président Alpha Condé. Populaire mais peu connu, le nouveau maître de Conakry multiplie les promesses, au risque de décevoir.

Très rapidement, les rues de Conakry ont retrouvé leur agitation habituelle. Seules des affiches géantes rappellent aux passants que le pays vient de vivre le troisième coup d’État de son histoire. À côté du drapeau rouge, jaune et vert guinéen, on y voit Mamadi Doumbouya, lunettes noires, béret rouge. C’est le jeune quadragénaire qui a pris le pouvoir le 5 septembre. Le lieutenant-colonel a interdit « toute manifestation de soutien» à son égard, mais s’est permis cette coquetterie.

Depuis deux semaines, le pays est suspendu aux décisions de cet ancien légionnaire promu commandant de l’unité d’élite des forces spéciales. Après avoir fait chuter Alpha Condé de son troisième mandat contesté, comment Mamadi Doumbouya compte-t-il diriger le pays?

Il savait que l’armée ne lancerait pas d’assaut

Un militaire mesuré, organisé, méthodique: sa transition débute comme il a conduit son coup d’État. « Il a saisi le président en sachant que l’armée ne lancerait pas d’assaut. C’était brillant », juge un fin connaisseur des services de défense et de sécurité guinéens. Dès le 6 septembre, dans un geste qui en dit long sur la confiance du lieutenant-colonel dans le soutien de l’armée, il décide de libérer l’ensemble des militaires arrêtés à l’occasion du putsch. Très vite, il fait retirer de la ville les barrages des services de sécurité, que l’ancien président avait postés sur l’axe Hamdallaye- Kagbélen, acquis à l’opposition.

Un anti-Dadis

Il annonce la tenue de concertations nationales, promet une transition inclusive. Le putschiste veut se présenter comme un «anti-Dadis» qui géra le pays de façon calamiteuse en 2008 et 2009, et «éviter les erreurs du passé». Il fait sienne l’expression de l’un ses proches: Il faut savoir bien faire les choses et le faire savoir. Suffisamment pour rassurer? Cellou Dalein Diallo, opposant à Condé, résume à JA l’état d’esprit d’une classe politique prête à remettre les compteurs à zéro: « Je lui fais confiance, jusqu’à preuve du contraire. »

Jeune soldat, il a eu du mal à se faire accepter dans cette armée dont il est devenu de facto le commandant.

Rien n’était pourtant gagné d’avance pour Mamadi Doumbouya. Cette armée guinéenne dont il est devenu de facto le commandant. Le jeune soldat a eu du mal à s’y faire accepter. Après cinq ans au deuxième régiment étranger d’infanterie de Nimes (Gard), au sein de la légion étrangère, le caporal-chef doit faire ses preuves à son retour en Guinée. On est alors peu de temps après l’élection d’Alpha Condé en 2010. C’est lui qui s’est présenté au général Aboubacar Sidiki Camara, dit «Idi Amin», raconte un homme proche de l’entourage du chef du Comité national de rassemblement et du développement (CNRD). Alors directeur de cabinet au ministère de la Défense, Idi Amin a la réputation d’être un « chasseur de têtes ».

« En me voyant, il saura que je suis un soldat»

Mamadi Doumbouya se reconnaît dans le profil de ce Saint-Cyrien cultivé et respecté.  « En me voyant, il saura que je suis un soldat», prédit l’ancien légionnaire. C’est Idi Amin qui le présentera à Alpha Condé, racontent aujourd’hui plusieurs de ses proches, même si l’ancien président affirme ne l’avoir « jamais recruté».

C’est pourtant bien là que débute l’ascension express de ce natif de Kankan – il est malinké, comme le chef de l’Etat. Il sera un temps instructeur du Bataillon autonome de la sécurité présidentielle-celui-là même qu’il combattra une décennie plus tard, pour renverser Alpha Condé.

La suite de son parcours est erratique. Selon nos informations, l’homme passe alors plusieurs années entre son pays d’origine, où il sera notamment envoyé en formation en Guinée forestière, puis stationnera à Kindia, et la France, où réside son épouse, sous-officière de gendarmerie, avec laquelle il a trois enfants. Le légionnaire, qui n’a pas fait d’école d’officiers, enchaine les formations.

Ascension  fulgurante

En 2013, il est envoyé à l’école d’application d’infanterie de Thiès, au Sénégal. En 2014, il effectue un stage à l’Institut des hautes études de défense nationale en France. Quatre ans plus tard, il reçoit le brevet d’études militaires supérieures de l’École de guerre, à Paris. Il est alors promu en tant que commandant des forces spéciales, l’unité d’élite chargée du contre-terrorisme. Si vite.

Proche de ses troupes

Depuis, le lieutenant-colonel jouit de la réputation d’un homme courageux, respectueux de la hiérarchie et proche de ses hommes. «Il s’occupe de sa troupe comme de ses enfants, les place tous sur un pied d’égalité, et fait siens leurs problèmes. En retour, ils sont prêts à tout pour lui», confie un politique. Toujours devant lors des exercices militaires, toujours le premier à agir lorsque la situation l’impose.

Un entourage solide                

Mamady Doumbouya est attendu au tournant, et il le sait. Comment composer avec les ex-membres de gouvernement parmi lesquels figurent (comme l’ancien ministre de la Défense Mohamed Diané) ceux qui alertaient hier Alpha Condé de son ascension fulgurante? «Il a une qualité essentielle: il sait reconnaître ses limites et s’entourer des bonnes personnes », estime un ancien ministre proche du premier cercle du chef du CNRD. Idi Amin, tout d’abord. En congé de son poste d’ambassadeur à Cuba, il est arrivé à Conakry une semaine après le coup d’État et est pressenti pour jouer un rôle clé dans la transition. Tout comme deux des proches de Doumbouya, considérés comme des intellos au sein de l’armée: son ami Balla Samoura, ex-directeur régional de la gendarmerie de Conakry, présenté comme le numéro deux de la junte, et le colonel Amara Camara, porte-parole du CNRD, directeur de l’école militaire interarmées de Manéah, à Coyah.

Ce n’est pas le plus âgé, ni le plus gradé, mais c’est celui qui avait le courage d’agir

Il demeure une question cruciale: de quelles aides a bénéficié le lieutenant-colonel pour mener son putsch? Qu’est-ce qui a provoqué sa décision? Plusieurs anciens responsables évoquent la frustration de Doumbouya lorsque son unité a été  écartée de la capitale et privée d’une partie de ses moyens. « On ne crée pas des problèmes à quelqu’un muni d’une kalachnikov, plaisante l’un d’entre eux. Il avait les armes, il avait les opportunités. Ce n’est pas le plus âgé, ni le plus gradé, mais c’est celui qui avait le courage d’agir», estime un ancien ministre.

Le charismatique militaire, qui rêve de « faire l’amour à la Guinée», jouit d’une popularité massive, mais fragile. N’a-t-il pas, lui aussi, participé au système répressif mis en place par Alpha Condé lors de la campagne pour le troisième mandat, en 2020? Certains mauvais souvenirs, comme la mise au pas des mutins du camp de Samoréya. semblent pour l’instant occultés.

«Il fait aujourd’hui l’unanimité. Mais il y a fort à parier que ça ne va pas durer, alerte une source au fait des négociations. Il faut des résultats très vite». Trois semaines après le putsch, les consultations se multipliaient en coulisses. Mais pas depuis le palais présidentiel, déserté depuis le 5 septembre dernier: le militaire craint les mauvais sorts qui ont pu lui être laissés par ses anciens occupants.

kemebrama@hotmail.com

Source : article de Marième Soumaré  et Diawo Barry, à Conakry

 

 

 

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