Le pays, qui concentre 20 % de la population mondiale sous antirétroviraux, déploie peu à peu le TLD, un traitement moins toxique et plus efficace que les précédents.
Dans le centre d’essais cliniques Ezintsha, à Johannesburg, le seul moyen de distinguer les patients séropositifs du personnel est l’épais dossier médical que les premiers trimballent sous le bras en arrivant. L’image résume assez bien une situation en passe de se généraliser dans toute l’Afrique du Sud : en dehors d’un suivi médical rigoureux, la vie des patients sous traitement ressemble de plus en plus à celle de Monsieur Tout-le-monde, jusque dans les quartiers pauvres de la capitale économique.
Le 27 novembre, le gouvernement sud-africain a annoncé la mise à disposition progressive et gratuite du meilleur traitement antirétroviral existant. Abrégé « TLD », il est la combinaison de trois molécules : tenofovir disoproxil, lamivudine et dolutegravir. Derrière cette litanie de noms obscurs se cache un traitement réduit à sa plus simple expression : une seule pilule par jour. L’apparition du dolutegravir (DTG), surtout, fait place à un traitement moins toxique, plus efficace et moins susceptible de rencontrer des résistances que les précédents.
Avant l’Afrique du Sud, qui concentre 20 % de la population mondiale sous antirétroviraux (avec 4,8 millions de personnes concernées), la version générique du TLD a été introduite au Kenya, en Ouganda et au Nigeria dès 2017, soit trois ans seulement après sa mise à disposition en Europe et aux Etats-Unis. En plus d’améliorer le quotidien des patients, la nouvelle thérapie, moins chère et plus légère, devrait permettre d’augmenter le nombre de personnes sous traitement et de diminuer le rythme des nouvelles contaminations. D’après l’Onusida, l’Afrique du Sud comptait 7,7 millions de séropositifs en 2018.
Peu d’effets secondaires
L’annonce du gouvernement a été rendue possible en partie grâce à l’essai mené à Ezintsha. Depuis avril 2018, plus de 1 000 patients y sont suivis par une équipe de l’université de Witwatersrand soutenue par Unitaid. Le but : comparer différentes combinaisons de molécules afin d’évaluer les bénéfices et les effets indésirables de chaque traitement sur les populations d’Afrique australe et les femmes en particulier. En 2018, une étude menée au Botswana avait jeté un froid sur le déploiement du TLD : plusieurs femmes sous traitement avaient donné naissance à des enfants souffrant de malformations du tube neural qui peuvent affecter le cerveau, la colonne vertébrale ou la moelle épinière.
A Johannesburg, aucune mauvaise surprise n’est venue contrarier l’étude. Au contraire. « La plupart de nos patients vont très bien. Les effets secondaires du DTG, comme les maux de tête ou les troubles intestinaux, sont moins nombreux que ceux des molécules classiques et disparaissent plus rapidement », explique la docteure Esther Bashkar. « Rose », l’une des rares patientes à accepter de parler à condition que son nom soit modifié, suit un traitement à base de DTG depuis près de deux ans. Elle estime que le VIH n’a pas changé grand-chose à sa vie : « Je me sens comme avant, je n’ai pas d’effets secondaires et je continue de travailler. »
L’essai permet aussi d’observer l’efficacité des différents traitements en cas d’interruption momentanée de la prise de médicaments, un problème courant en Afrique du Sud. « Certains arrêtent la thérapie dès qu’ils vont mieux, pensant que le virus a disparu. Il faut trouver des mots simples pour expliquer que ce n’est pas le cas », explique Noxolo Tom, infirmière. Les déplacements d’une région ou d’un pays à un autre constituent également une cause fréquente d’interruption. Les nouvelles molécules « permettent de réduire la charge virale plus vite, ce qui signifie que le virus est de nouveau neutralisé très peu de temps après que les patients reprennent le traitement », poursuit l’infirmière. Le risque de contracter une maladie opportuniste pouvant mener à une hospitalisation ou à la mort s’en trouve réduit d’autant.
Neutraliser la contagion
Par ailleurs, les patients qui ont accepté de parler au Monde Afrique assurent que la stigmatisation associée à la maladie recule. « Au début, j’ai eu peur de la réaction de mes proches. Mais à ma grande surprise, leur regard n’a pas changé », explique Rose. « Les choses ont évolué, la plupart de nos patients ont informé leur partenaire de leur statut et certains viennent ensemble », confirme Esther Bashkar.
En diminuant le nombre de copies du virus présentes dans l’organisme, les antirétroviraux permettent de neutraliser la contagion et de ralentir l’évolution du virus. « 90 % de nos patients ont intégré que le VIH n’était plus une sentence de mort, l’infection se gère, on peut avoir un conjoint et des enfants sans transmettre le virus », poursuit Noxolo Tom. Pourtant, s’ils sont de plus en plus nombreux à avoir entendu parler de ces avancées, beaucoup en Afrique du Sud ont encore du mal à y croire, explique l’infirmière : « Dans certaines communautés, des gens refusent encore de partager des repas avec des personnes séropositives. »
Les patients eux-mêmes ont parfois du mal à intégrer les progrès. Ainsi, quand on demande à Rose comment elle gère la possibilité d’avoir des relations sexuelles sans transmettre le virus, elle ouvre des yeux ronds avant de se tourner vers son infirmière : « Comment ça ? » L’infirmière confirme et enchaîne sur la possibilité d’avoir des enfants. Rose sursaute : « Hein ? Vraiment ? On peut avoir des enfants ? ! »
Lemonde