Accueil > Actualités > GUERRE AU TIGRÉ : DES RÉFUGIÉS RACONTENT CE QU’ILS ONT VÉCU

GUERRE AU TIGRÉ : DES RÉFUGIÉS RACONTENT CE QU’ILS ONT VÉCU

Les Tigréens réfugiés au Soudan voisin évoquent les violences dont ils ont été victimes de la part de l’armée fédérale éthiopienne et de sa milice amhara, qu’ils accusent de nettoyage ethnique. Ils refusent de croire en la chute de leur capitale régionale, Mekele, annoncée par le premier ministre éthiopien, le 28 novembre.

Guerre au Tigré: des réfugiés racontent ce quils ont vécu

« Je n’y crois pas ! C’est de la propagande pour rassurer la population et inciter les jeunes à continuer à s’engager aux côtés de l’armée fédérale », assure Muley Teshqger. Comme 45 500 Éthiopiens, ce trentenaire a fui la région du Tigré, située dans le nord du pays, pour se réfugier au Soudan voisin. Il refuse d’admettre la victoire annoncée par le premier ministre Abiy Ahmed, samedi 28 novembre, sur Mekele, la capitale de cette province aux velléités indépendantistes.

Keffieh sur la tête, ce fonctionnaire à la silhouette élancée gravit le chemin sinueux qui mène de la rivière de Tekezé au village d’Hamdayet. En contrebas, un bateau chargé de femmes, d’hommes et d’enfants part du village éthiopien frontalier d’Eldima.

Les Tigréens, victimes d’un « nettoyage ethnique »

Certains se sont risqués à un aller-retour chez eux, rapportant valises, sacs de farine, vêtements et sommiers. D’autres viennent de quitter leur domicile, comme l’oncle de Muley Teshqger, arrivé le 30 novembre. « La milice amhara « Fano » bloquait la route conduisant à la frontière, explique Muley Teshqger, qui a rejoint Hamdayet cinq jours plus tôt. Mon oncle leur a menti pour pouvoir passer. La semaine dernière, les soldats éthiopiens en barraient l’accès. Ils nous retiennent pour éviter que nous exposions leurs actes dans les médias internationaux ».

Pour lui, les Tigréens sont victimes d’un « nettoyage ethnique. S’il s’agissait d’un simple problème politique, cela se réglerait par des négociations et non par des bombardements », assure-t-il. Un sentiment que partagent tous les réfugiés tigréens rencontrés.

Rescapés du bombardement de la ville d’Humera

Assis à l’ombre d’une bâche noire, un colonel tigréen de l’armée fédérale. Blessé, il n’a pas directement participé à l’offensive gouvernementale dans sa région. En visite dans sa famille à Humera, lui-même s’est trouvé trouvé pris sous les bombardements de l’armée fédérale. « Elle a ouvert le feu le 9 novembre. Le lendemain, des missiles ont été tirés depuis l’Érythrée. Et je me suis enfui au Soudan trois jours plus tard, lorsque des milices amharas ont commencé à nettoyer la ville des Tigréens. »

Depuis, l’homme reste sans nouvelles de quatre de ses sept enfants. Enkubahri Berhanu partage ce calvaire. Cette diplômée en comptabilité âgée de 24 ans venait de donner naissance à ses jumelles quand l’hôpital d’Humera a été bombardé. « Nous avons passé deux jours à nous cacher dans la forêt, puis nous nous sommes séparés pour échapper aux soldats éthiopiens, détaille son mari, Brhanukiros Berhanu. Nous sommes restés sans nouvelles l’un de l’autre durant dix jours. J’ai vu beaucoup de morts, et des personnes avec une main ou une jambe coupée, mais je ne saurais pas dire combien. »

Les Berhanu évoquent, eux aussi, un « génocide » contre les Tigréens, et qualifient l’annonce de la prise de Mekele de « propagande visant à atteindre psychologiquement les Tigréens pour les inciter à abandonner ».

Le règne de la rumeur

Peine perdue pour Muley Teshqger, le fonctionnaire au keffieh : « le Front de libération du Tigré a remporté tous ses combats depuis 1970. Ce groupe a commencé avec cinq pistolets et a fini par contrôler toute l’Éthiopie. » Un contrôle perdu en 2018, du moins, avec la nomination comme premier ministre d’Abiy Ahmed, un Oromo – l’ethnie la plus nombreuse en Éthiopie avec les Ahmaras.

Pour l’heure, la coupure des télécommunications au Tigré empêche toujours de suivre précisément l’avancée des troupes fédérales dans la région. Impossible également de confirmer les conclusions de la commission éthiopienne des droits de l’homme attribuant aux milices tigréennes le massacre de 600 civils à Mai-Kadra, dans l’ouest de la province. Pas plus que de donner une réalité à la rumeur, qui circule au sein des réfugiés, selon laquelle les jeunes garçons tigréens seraient systématiquement visés par les milices amharas afin d’éradiquer, à l’avenir, toute présence de ce peuple en Éthiopie.

45 500 réfugiés éthiopiens au Soudan

Entre le 7 et le 29 novembre, le HCR a enregistré 45 500 réfugiés éthiopiens à la frontière soudanaise, avec un pic de 6 815 arrivées le 10 novembre. Près de la moitié sont des enfants.

Sept réfugiés sur dix ont rejoint la ville frontalière de Hamdayet, trois sur dix celle de Ludgi (à 170 kilomètres au sud). Ils ont ensuite été respectivement acheminés vers des camps de transit situés à Hamdayet et au « Village huit » (à 44 kilomètres de Ludgi).

Depuis dix jours, les réfugiés d’Hamdayet sont redirigés vers le camp permanent d’Um Rakuba, à l’ouest de la frontière. Les autorités soudanaises prévoient d’ouvrir un second camp permanent, à Al Tanideba.

 «Ce nest peut-être pas la fin de la guerre en Éthiopie»

Augustine Passilly (à Hamdayet, frontière soudano-éthiopienne), le 01/12/2020 à 17:25 Modifié le 01/12/2020 à 19:34

Laisser un commentaire