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GUERRE EN UKRAINE : « LA CHINE REPROUVE LE JUSQU’AU-BOUTISME DE POUTINE »

Face au conflit russe, la Chine adopte une position de plus en plus prudente, inquiète du jusqu’au-boutisme poutinien. Le pays rencontre de grands défis internes, et doit renforcer sa place sur la scène internationale.

Pour Yan de Kerorguen, même si les régimes chinois et russes sont sur la même longueur d’onde, la volonté de la Chine d’approfondir ses relations avec la Russie, s’apparente davantage à un partenariat de circonstance.

On ne saurait en douter, la débandade de l’armée russe en Ukraine ne semble pas inciter Vladimir Poutine à réfréner ses ardeurs, mais plutôt à accentuer la menace du scénario catastrophe. Jusqu’à présent, ni la détermination des Ukrainiens, ni les sanctions occidentales, ne semble lui faire entendre raison. Une brève lecture des relations ambiguës entre la Chine et la Russie accrédite l’hypothèse que seul son présumé « ami » Xi Jinping peut faire une pression efficace pour stopper l’escalade de la Russie. Récemment, l’un des meilleurs analystes de la Chine, Kevin Rudd, ancien premier ministre australien, souligne que Pékin a déjà fixé à Moscou une ligne rouge.

Le récent sommet de l’Organisation de coopération de Shanghaï (SCO) qui s’est tenu à Samarcande en septembre 2022 ne laisse pas de doute sur la position de force dans laquelle se trouve la Chine au sein de cette coalition. Cette organisation, qui réunit outre la Chine et la Russie, le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, le Kirghizstan, le Tadjikistan (élargie en 2016), a confirmé les distances prises par ces nations d’Asie centrale à l’égard de la puissance tutélaire de Moscou.

LES KAZAKHS INQUIETS POUR LEURS FRONTIERES

Les républiques anciennement soviétiques sont en effet de plus en plus réservées face aux excès d’autorité du Kremlin. Les Kazakhs, les Kirghizes et les Tadjiks font régulièrement l’expérience du mépris des autorités russes. En témoignent les propos du président du Tadjikistan, Emomali Rahmon, qui s’est plaint auprès de Poutine, le 14 octobre, de son manque de respect à l’égard des nations d’Asie centrale. Récemment, un député de la Douma a soutenu qu’il fallait dénazifier le Kazakhstan. Les Kazakhs, qui n’ont pas reconnu les républiques séparatistes du Donbass, ni l’annexion de la Crimée en 2014, ont refusé de prendre part à la guerre. Dans la capitale Noursoultan, les manifestations pro-Ukraine sont autorisées. Et déjà, les Kazakhs s’inquiètent pour leurs frontières.

Une chose est sûre : aux yeux du voisin chinois, les nations d’Asie centrale existent bel et bien. En y investissant massivement, la Chine a réussi une entrée multiforme dans cette arrière-cour de Poutine où, chaque année, près de 15 millions de Chinois arrivent. Pékin bénéficie ainsi d’un accès préférentiel aux ressources minières de l’Asie centrale. Symbole fort : c’est à l’université d’Astana, au Kazakhstan, que Xi Jinping annonça, en 2013, le projet de la « nouvelle route de la soie ». La Russie se trouve désormais fragilisée sur son flanc asiatique.

COMPETITION AVEC LES ÉTATS-UNIS

Difficile pourtant de compromettre un lien idéologique fondé sur la lutte commune contre l’arrogance américaine. Les deux régimes sont sur la même longueur d’onde. Le modèle autoritaire vaut mieux que la démocratie. Quand bien même, sur le papier, « l’amitié avec la Russie est solide comme un roc », comme l’a rappelé le ministre chinois des affaires étrangères, Wang Yi, des signes montrent que la volonté d’« approfondir les relations avec la Russie » s’apparente davantage à un partenariat de circonstance. La Chine ne soutiendra pas l’économie russe en berne, affirme une étude Mercator. Xi Jinping n’a pas soutenu l’effort de guerre du Kremlin et n’a jamais évoqué d’appui militaire.

En réalité, Xi Jinping a surtout besoin de sécuriser ses actifs et ses clients. En interne, il doit faire face à d’énormes défis. Nombre de clignotants économiques et sociaux ont viré au rouge. Il est conscient que s’il ne veut pas rater ce que les sinologues appellent « le moment chinois de l’histoire », il doit préserver les investisseurs et accroître son influence. Un conflit de trop forte intensité entre la Russie et l’Europe serait un obstacle pour les exportations. L’Union européenne est son premier partenaire et son client le plus rentable.

POUR PEKIN, LA RUSSIE EST UN FAUX AMI

L’obsession de Pékin reste surtout la compétition avec les États-Unis. Ces derniers ont récemment menacé les Chinois de ne plus leur fournir de semi-conducteurs. En outre, l’instabilité que la guerre fait peser sur les marchés de l’énergie et des céréales ne plaît évidemment pas au leader communiste. Bref, pour Pékin, la Russie est un faux ami. L’historien Timothy Snyder pense que cette relation déséquilibrée mènera tôt ou tard à une « hyper dépendance » : « Le pouvoir russe, de son plein gré, cédera aux Chinois ce qu’ils veulent ».

UN RAPPEL A L’ORDRE

Près de huit mois après le déclenchement de la guerre, il est dans l’intérêt du responsable chinois d’effectuer un rappel à l’ordre. « La Chine ne peut se développer sans le monde et le monde ne peut se développer sans la Chine », a déclaré Xi Jinping, le 16 octobre, à l’issue du 20e congrès du Parti communiste chinois, où son mandat a été reconduit.

Les dirigeants chinois ont-ils déjà acté que Poutine n’est plus un acteur crédible ? La rhétorique chinoise le laisse entendre. La presse nationale utilise désormais le terme d’« invasion de l’Ukraine ». Pour Gao Yusheng, ex-ambassadeur de Chine à Kiev, « les forces de Poutine s’acheminent vers une défaite qui pourrait reléguer son statut de grande puissance à une chose du passé ».

La Chine a enfin une raison fondamentale de réprouver le jusqu’au-boutisme du Kremlin. Elle cultive le principe absolu de l’intangibilité des frontières. Grâce à ce principe qui garantit l’unité de la Chine, aucune diplomatie ne remet en cause l’appartenance du Tibet et du Xinjiang à la Chine. La violation par la Russie de l’unité de l’Ukraine est ainsi en opposition flagrante avec cette doctrine. Si par opportunisme nationaliste et commercial, Xi Jinping entend devenir le grand horloger de la Mondialisation, son intérêt est donc de sonner les cloches à Poutine et de lui rappeler le principe d’intégrité des frontières. Il reste que seule l’Ukraine décidera le timing de la fin de la guerre, quand l’intégralité de son territoire sera reconquise.

kemebrama@hotmail.com

Source :

tribune

Yan De Kerorguen

Vice-président « Initiatives citoyens en Europe »

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