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ISRAEL : CONSPUE POUR SA « GESTION CHAOTIQUE » DE L’EPIDEMIE, NETANYAHOU TENTE D’ACHETER LA PAIX SOCIAL

Lors d’une manifestation contre Benjamin Nétanyahou, ce vendredi.

La grogne s’amplifie contre le Premier ministre israélien, critiqué pour sa gestion confuse du regain de l’épidémie de coronavirus et sa réponse à la crise sociale engendrée par le retour des restrictions. A Jérusalem comme à Tel-Aviv, les manifestations appelant à sa démission se multiplient.

Confiné en un claquement de doigts, déconfiné dans la précipitation et confronté à un inquiétant regain de l’épidémie, Israël tergiverse désormais autour d’un reconfinement général de sa population. Laquelle bouillonne de colère contre son Premier ministre, Benyamin Nétanyahou, critiqué pour ses zigzags stratégiques, le grand flou entourant son plan de sauvetage de l’économie et l’imposition brutale de mesures absurdes, plus le fruit de grossiers arbitrages politiques que de considérations sanitaires.

Un aperçu de la gestion ubuesque de l’épidémie à la Nétanyahou. Vendredi matin, après une nuit de palabres et de rumeurs, le gouvernement a ordonné la fermeture immédiate des restaurants et des plages à partir de dimanche, laissant planer la menace d’un reconfinement total les soirs et week-end (seul les déplacements durant les journées de travail seraient alors autorités). Pourtant, les épidémiologistes l’assurent : les foyers de contamination se trouvent dans les collèges, rouverts trop vite, les salles des fêtes et, désormais, les maisons et appartements des «familles nombreuses» (comprendre les religieux). Pas dans les restaurants, pour la plupart servant en terrasse à cette période de l’année.

Ulcérés, des dizaines de restaurateurs qui avaient refait leur stock de denrées pour le week-end annoncent qu’ils ne plieront pas et resteront ouverts. «Tout ça c’est de la politique : si Nétanyahou veut dire un mot aux synagogues, faut d’abord qu’il tape sur nous [les laïcs, ndlr] ! Ils ferment les restos pour pouvoir éventuellement expliquer aux rabbins qu’il faut faire un truc… De la pure démagogie !» décrypte alors David Abouyaca, propriétaire d’un bar à vin à Jaffa, au sud de Tel-Aviv. Le temps de terminer l’interview, voilà que le gouvernement recule, à une heure du couvre-feu annoncé. Finalement, les restaurants seront ouverts jusqu’à mardi – un simple sursis. Dans le même temps, devant la résidence du Premier ministre à Jérusalem, les manifestants se sont installés en maillots de bain, bouées sous le bras pour une manifestation «Anti-Nétanyahou, pro-plages».

«Bon sens»

Voilà l’humeur du pays depuis le début de la semaine, résumé en un mot à longueur d’éditoriaux : «CHAOS». Nétanyahou l’a reconnu lui-même : les derniers ordres de fermetures, visant aussi les clubs de musculation et les salons de beauté, n’ont pas été justifiés par des données médicales, mais par le simple «bon sens». Voire des réflexions de café du commerce, le ministre de l’Intérieur, l’ultraorthodoxe Arié Dery, pas du genre à se mettre en slip de bain, arguant que les plages sont un danger car on y serait «serré comme des sardines». A l’inverse, le président de l’Association israélienne des médecins de santé publique a expliqué que confiner dans leur domicile la population le week-end «n’avait aucun sens», et pourrait même accélérer les infections, 20 à 30 fois supérieures dans les lieux clos – comme les écoles talmudiques – qu’à l’extérieur…

C’est qu’au-delà des chiffres de contamination, qui suivent un rythme brésilien, et de la comptabilité des cas graves, encore sous contrôle mais doublant chaque semaine, Israël est dans le noir. La faute au sous-investissement dans les équipes d’enquêteurs épidémiologiques (dont le nombre rapporté à la population est dix fois inférieur à la Grande-Bretagne ou l’Allemagne), alors que le tracing des malades par les services de renseignements s’est avéré non seulement juridiquement douteux mais aussi dangereusement imprécis.

Ces gesticulations de dernière minute du gouvernement n’ont fait qu’alimenter la grogne grandissante visant le Premier ministre. Toute la semaine, ce dernier a vu défiler sous ses fenêtres des manifestants, les infatigables militants du mouvement anti-corruption Drapeaux noirs étant désormais rejoints par les «affamés du corona» (petits commerçants, travailleurs sociaux, artistes, etc.), comme la presse les appelle.

«Siège d’anarchistes»

Mardi, ils étaient plusieurs milliers rue de Balfour à Jérusalem, où vivent les Nétanyahou, avant d’être délogés au canon à eau. Une manifestation d’une intensité rare, décrite par le premier cercle du Premier ministre comme un «siège d’anarchistes». Offrant ainsi au mouvement son nouveau slogan («c’est le gouvernement qui est anarchique !»).

Alors que le procès pour corruption de Nétanyahou reprend dimanche, Roï Neuman, porte-parole des Drapeaux noirs, argumente que les revendications sociales liées à l’épidémie nourrissent naturellement leur cause : «Bibi a démontré ces derniers mois le lien évident entre ses affaires et sa gestion désastreuse de la pandémie. Au lieu d’affronter la crise, il passe son temps à attaquer les juges sur Twitter. Son énergie est consacrée à fuir la prison, pas à diriger le pays. Et nous avons besoin, plus que jamais, d’un Premier ministre à temps plein.» Une manifestation d’ampleur est prévue samedi le long de la plage à Tel-Aviv, appelant à un grand rassemblement social et anti-corruption, derrière un seul mot d’ordre, la démission du «roi Bibi».

Pour apaiser à la colère, Nétanyahou a annoncé mercredi le virement sur le compte de tous les Israéliens majeurs, sans distinction de ressources, la somme de 750 shekels (environ 185 euros), allant jusqu’à 800 euros pour les familles nombreuses. Officiellement, il s’agit de donner un coup de fouet à l’économie nationale. «Nos concitoyens restent à la maison, ils ne consomment plus», s’est justifié Nétanyahou, avant d’appeler la population à «acheter du Bleu et Blanc [les couleurs d’Israël, ndlr]  Décision qualifiée de populiste et dispendieuse, d’autant plus si le reconfinement est imminent, par de nombreux journaux et associations qui ont lancé des cagnottes pour reverser ces sommes aux plus démunis. D’autres y voient une façon cynique et court-termiste d’acheter la paix sociale, le quotidien Haaretz comparant même la manœuvre à la stratégie du «cash contre du calme» mise en place avec le Hamas à Gaza.

«Radin»

Mais pour Yaëlle Ifrah, conseillère parlementaire en charge des questions d’économie et de consommation, «Nétanyahou a beau jouer au père Noël, son plan de relance face à l’épidémie reste radin en comparaison avec nombre d’autres pays, notamment Européens». Après avoir initialement annoncé un package de 80 milliards de shekels (20 milliards d’euros), le gouvernement a graduellement musclé sa réponse, promettant d’injecter jusqu’à 150 milliards de shekels (37,5 milliards d’euros) dans l’économie. «Honnêtement, personne ne se retrouve dans ces chiffres, entre l’argent promis pas encore versé et « l’argent nouveau », poursuit Ifrah. En réalité, seulement 30% des sommes promises aux entreprises ont été versées, et le reste est soumis au passage du budget, qui fait l’objet d’un bras de fer au sein de la coalition entre Nétanyahou et [son rival] Benny Gantz. Il y a aussi de fortes réticences idéologiques. D’un côté, le gouverneur de la banque d’Israël veut une vraie politique à l’européenne, où l’on ouvre grand les coffres. De l’autre, il y a la doxa ultralibérale de Nétanyahou, et cette conviction omniprésente dans la bureaucratie israélienne que les gens pipotent, qu’ils ne sont pas si mal en point. Ce qui passe très mal, au moment même où le Premier ministre négocie un abattement d’impôts massif !» 

Pour l’économiste, la crise subite créée par la pandémie a «fait découvrir aux Israéliens qu’ils n’avaient plus de filet social. Ils étaient fiers de vivre dans la start-up nation, avec un chômage quasi inexistant [la part d’inactifs est passée de 3% à 20%, ndlr], et là ils découvrent que lorsque ça tourne mal, il n’y a plus personne. Nétanyahou est un génie du macroéconomique, l’homme qui a « sauvé » Israël de la faillite quand il était au Trésor au début des années 2000. Mais le social, il ne sait pas faire.» 

Pour l’instant, la révolte n’a pas encore atteint le petit peuple du Likoud, les mobilisations dans les fiefs du parti de Nétanyahou étant jusqu’à présent inexistantes. L’attention portée aux petits commerçants, à qui 30 milliards de shekels ont été promis pour éviter les banqueroutes, étant aussi un message à l’électorat bibiste. Sans opposant à sa mesure, Nétanyahou est persuadé de pouvoir survivre à cette crise sociale indemne, comme il l’avait fait lors la «révolte des tentes» de 2011. Mais, à l’époque, ce dernier n’était pas en même temps en procès pour corruption.

Libération

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