Asif Arif, avocat au Barreau de Paris, pose la question de la place des minorités musulmanes dans le futur dispositif de l’islam en France.
Le Président de la République a reçu mercredi 18 novembre la délégation du Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) afin de faire le point sur son rôle dans le cadre de la loi sur le séparatisme à venir et un point d’étape sur les travaux qui leur ont été dévolus afin de renforcer la République et lutter contre le séparatisme.
Un conseil national pour « labelliser » les imams français
Le Président de la République souhaitait que le CFCM soit force de propositions dans le cadre des formations des Imams, l’agrément de ces derniers, assister les imams dans le cadre de la lutte contre la radicalisation et rédiger une charte que tous les imams devront signer afin de démontrer leur adhésion aux valeurs républicaines.
Une force de proposition politique
Il va de soi qu’une telle mesure est purement politique. D’abord, parce que les deux derniers attentats qui ont choqué la France – Conflans-Sainte-Honorine et Nice – ont été commis par des étrangers qui n’avaient pas une affiliation particulière avec une mosquée et en conséquence aucun lien direct avec ce qu’on a pu appeler un temps « l’islam des rues ». Or, en pariant sur le CFCM et en le contraignant à adopter des chartes, le gouvernement semble jeter une présomption de culpabilité sur les imams de France qu’ils ne pourront expier qu’en prêtant un serment d’allégeance sur la charte républicaine en formation.
Quel statut pour les imams en France ?
Cette acceptation quasi religieuse de la charte républicaine ne posera pas de souci aux divers tenants de l’islam en France, mais elle suscitera un vrai problème si est dévolu au CFCM le pouvoir d’élaborer des agréments – comme en matière de label de la viande halal –, lesquels seront contingents de beaucoup d’éléments particuliers. D’abord, des alliances de principe vont intervenir entre les différents courants de l’islam de France afin d’obtenir l’agrément des ministres du culte de sorte que l’on va assister à une forme de commerce de l’agrément qui n’est jamais très saine pour une République qui souhaite établir des relations saines avec l’islam.
Ensuite, parce que les minorités seront les grandes perdantes de ce système par agrément qui sera également une entorse au principe de la laïcité de l’État.
Un agrément sujet à de nombreuses controverses : minorités musulmanes et laïcité
Lorsque le responsable d’une communauté religieuse musulmane souhaitera demander à ce qu’un imam officie dans un lieu de culte, la procédure qui sera mise en place le contraindra à solliciter un agrément auprès du CFCM. Sans préjuger des intentions de cet organe, il existe ici un risque important de discriminations
Un conseil national pour « labelliser » les imams français
Certaines associations religieuses se considèrent comme musulmanes mais ne sont pas reconnues comme telles, même par le CFCM. Or, elles auront à cœur d’obtenir une certification de leurs imams, ce qui risque d’entrer en contradiction avec les positions religieuses de certains membres du CFCM.
Cette voie très sinueuse risque également d’ouvrir des problématiques quant à la laïcité de l’État. Le principe est en effet que l’État se reconnaît une incompétence en matière religieuse de sorte que l’État ne distingue pas entre les courants religieux.
Or, si le CFCM adopte de telles positions, puisqu’elles le seront sur délégation d’un pouvoir étatique (ou d’une absence de pouvoir, puisque l’État ne peut pas discriminer), on risque de contrevenir au principe de laïcité puisque l’État aura octroyé la faculté au CFCM de dire qui est un « imam musulman agréé » et qui ne l’est pas. Si une telle proposition peut se justifier sur des mouvements extrémistes, elle risque de créer des conflits internes aux musulmans.
Et n’oublions pas que le CFCM est loin d’emporter l’assentiment des musulmans de France.
La Croix le 20/11/2020 à 16:47