Aussi paradoxale que cela puisse paraître c’est bien avec les ouvertures démocratiques que l’instabilité politique et les troubles violents et massifs ont envahit notre continent. La comptabilité des morts et des destructions dans la période qui suit l’établissement de la « démocratie » sur le continent noir ferait regretter à tout pacifiste le temps du règne des régimes autoritaires. Le Président Houphouët-Boigny avait insisté sur la nécessité d’une pédagogie préalable pour intégrer la notion de démocratie et ses ressorts, mais n’avait pas été écouté. Il fallait aller vite et se laisser porter par le vent venu de l’Est. Comme le dit l’adage si vous êtes pressé d’avoir un enfant vous finissez par épouser une femme enceinte et de devenir le père d’un enfant illégitime. L’univers du drame qui s’est implanté et qui s’élargit à chaque échéance électorale est donc la résultante de la mauvaise compréhension de la démocratie et de ses codes, mais et surtout des enjeux que cela représentent à savoir le pouvoir pour le pouvoir. Dès lors, dans le contexte d’Etats prédateurs, le remplacement d’une oligarchie par une nouvelle suffise à incarner le changement sans incidence sur la nature de la gouvernance. Toute chose qui exonère les prétendants à la fonction suprême de la nécessité de bâtir leur légitimité sur des idées ou projets qui tranchent avec ce qui est et qui pourraient améliorer le sort de ceux qu’ils veulent gouverner. Lorsque le discriminant entre ces prétendants n’est pas leur vision de la société dans laquelle ils souhaitent faire vivre leurs concitoyens, c’est leur propre égo qui est proposé comme ferment de ralliements et de justification de leurs prétentions. Des bruits de fond et des manœuvres qui alertent immanquablement de la proximité des échéances électorales et qui alourdissent insidieusement le ciel, ne transparaissent jamais les raisons objectives pour lesquelles les uns et des autres veulent le pouvoir. Ces dernières sont d’ailleurs peu déterminantes et très vite soldées par des promesses convenues auxquelles par l’habitude de ne rien en espérer, personne ne prête plus foi.
Pourquoi l’électeur devrait se déranger de sa maison au bureau de vote pour porter son choix sur Pierre ou sur Paul ? Parce que simplement c’est Pierre ou c’est Paul ! Cette logique de mystification s’est instillée dans les mœurs politiques africaines à partir de la figure de l’« opposant historique» dont la légitimité à gouverner découlait uniquement du caractère « historique » de son opposition à des dirigeants qui donnaient l’impression d’avoir été visés à leur fauteuil. Les expériences de l’exercice du pouvoir par ces « opposants historiques » autorisent à affirmer que dans bien des cas le remède s’est avéré pire que le mal. Comme quoi, la seule affirmation de soi qui en Afrique est très souvent sources de violences et de morts ne saurait suffire pour gouverner convenablement.
Le jeu politique serait plus intelligible et moins passionnel si les prétendants au pouvoir suprême en Afrique, présentaient un projet autre que leur intime conviction d’être l’homme ou la femme providentielle que tout le monde attend ou doit suivre. En effet, en dehors du modèle standardisé de gestion patrimoniale du pouvoir, plusieurs offres politiques originales et fédératrices peuvent être faites aux populations notamment en matière de collectivisation des profits de la gouvernance, d’engagement résolu en faveur du nivèlement social et d’affirmation de l’indépendance et de la personnalité internationale de nos pays. Les exemples de Trump et de Marcon doivent inspirer. Ils ont fait la preuve de ce que l’on peut avoir l’adhésion de ses concitoyens simplement en étant porteur d’idées et de projets qui coïncident avec leurs attentes du moment et cela sans avoir besoin d’être quelqu’un d’extraordinaire ni d’avoir fait ses armes au sein de formations politiques durant des décennies.
La confrontation des idées conduit à l’intelligence pendant que celle des égos à la violence. Le peuple que l’on prétend servir ou vouloir servir ne devrait en aucune manière pâtir des conséquences de positionnements égoïstes dans lesquels son sort importe peu. La politique est un art et l’artiste est maitre de ses œuvres. Personne n’échappe cependant à son destin et la réputation survie à l’individu.
Moritié Camara
Maitre de Conférences d’Histoire des Relations Internationales
Asriesa2012@gmail.com