Le groupe État islamique a revendiqué jeudi l’attaque contre le camp d’Inates, dans l’Ouest du Niger, qui a fait au moins 71 morts et des disparus mardi.
« Les soldats du califat ont attaqué la base militaire d’Inates (…) les moudjahidine l’ont contrôlée pendant plusieurs heures », affirme le communiqué de l’EI qui donne un bilan de « 100 tués » côté armée nigérienne. Cette revendication a été rapportée jeudi par l’organisme américain de surveillance des mouvements extrémistes site, citant le groupe ISWAP (État islamique en Afrique de l’Ouest).
Des centaines d’assaillants ont mené mardi un assaut de plusieurs heures contre le camp militaire d’Inates, dans l’ouest du Niger, près de la frontière malienne, infligeant un revers sans précédent à l’armée nigérienne.
L’onde de choc est terrible dans le pays, où un deuil national de trois jours a été décrété. Le président nigérien Mahamadou Issoufou est rentré en catastrophe dans la nuit d’une conférence internationale et a présidé à Niamey jeudi matin une réunion du Conseil national de sécurité dont rien n’a filtré.
« Je m’incline devant la mémoire de nos soldats tombés à Inates les armes à la main », a écrit le président Mahamadou Issoufou sur son compte Twitter. « Je pense à leurs familles en pleurs. Le peuple nigérien pleure avec elles. Si une belle mort existait, j’aurais dit que la plus belle des morts c’est la mort pour sa patrie les armes à la main ».
« Tristesse profonde »
« C’est un triste jour pour nous. Je suis très découragé, je n’arrive même pas à bien me concentrer sur mon commerce », affirme Souleymane Seïni, un commerçant de Niamey. « Ces soldats qui sont massacrés sont nos amis, nos parents, nos frères.. ».
Des voix s’insurgent déjà sur le plan politique. Ainsi, le Front patriotique d’Ibrahim Yacouba, ancien ministre des Affaires étrangères, « constate la démission et l’incapacité du gouvernement à protéger et à défendre le pays ».
Moussa Tchangari, une figure de la société civile, parle de « tristesse profonde » mais attaque aussi les forces étrangères, notamment françaises. « Tout le monde en parle mais où sont les drones ? Où sont les avions de chasse ? (…) Ces gens-là (troupes étrangères) ne sont pas là pour nous, pour nous c’était déjà très clair et donc les forces étrangères ne sont pas d’une grande utilité, elles doivent s’en aller ».
Le président français Emmanuel Macron a vite réagi à l’attaque, annonçant le report à janvier du sommet consacré à l’opération Barkhane et à la force conjointe du G5 Sahel, programmé le 16 décembre.
Il s’agissait justement de clarifier avec les dirigeants des pays du G5 Sahel (Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad et Mauritanie) les positions de chacun sur la présence militaire française au Sahel, de plus en plus contestée par les opinions publiques.
Le président français voulait une rencontre symbolique à Pau (sud-ouest de la France), où étaient basés la majorité des 13 militaires français tués fin novembre en opération au Mali. Il avait essuyé une salve de critiques sur la forme de l’invitation à ce sommet, qui selon beaucoup d’observateurs s’apparentait à une convocation aux relents néo-colonialistes.
Le sommet a été repoussé « pour permettre au président Issoufou et aux autorités nigériennes de faire le deuil », a expliqué le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian.
« Hit and run »
L’attaque d’Inates met clairement en lumière les difficultés des forces armées à lutter contre les groupes djihadistes. C’est l’attaque la plus meurtrière depuis le début de l’offensive djihadiste en 2015 au Niger. Au-delà, c’est tout le Sahel – en particulier le Mali, le Niger et le Burkina -, qui est visé par les assauts de plus en plus audacieux de groupes islamistes armés, en dépit de la présence de 4 500 militaires français de la force antiterroriste Barkhane et de forces américaines.
Le Mali a été frappé par une série d’assauts sanglants, au cours desquels plus de 140 soldats ont été tués, provoquant un véritable traumatisme. Le Burkina avait perdu 24 militaires en août, dans un assaut contre la base de Koutougou, également près de la frontière malienne.
Après des attaques de type guérilla « hit and run » (on frappe et on s’enfuit), les groupes djihadistes n’hésitent plus désormais à attaquer de front des postes militaires.
De ce point de vue, l’attaque de mardi est significative : elle était l’œuvre de « plusieurs centaines » de combattants « lourdement armés » selon le Ministère de la Défense nigérien, et les combats ont été d’une « rare violence ». Les assaillants étaient organisés tactiquement, bien équipés avec des mortiers et des « véhicules kamikazes ».
L’EI, qui avait déjà revendiqué en juillet une autre attaque du camp ayant fait 18 morts, est monté en puissance malgré l’escalade de moyens du côté des forces françaises et américaines, et le renforcement des armées locales soutenues par les Occidentaux. Les Français ont promis d’armer leur drones et sans doute d’en multiplier le nombre à terme.
« Il est urgent que nos alliés s’impliquent davantage », a déclaré Jean-Yves Le Drian, évoquant non seulement les pays sahéliens mais aussi l’Otan et l’Union européenne.
Le président tchadien Idriss Deby a pour sa part souligné qu’il fallait « fédérer (les) efforts et poursuivre sans relâche la lutte contre le terrorisme et l’obscurantisme ».
12 décembre 2019 à 19h25 | Par Jeune Afrique avec AFP Mis à jour le 13 décembre 2019 à 08h27