L’ancien proche de Laurent Gbagbo fait partie de la toute petite liste de 3 challengers pour le scrutin d’octobre en Côte d’Ivoire. À la tête du Front populaire ivoirien depuis qu’il a arraché le contrôle légal du parti, il propose une alternative au « Gbagbo ou rien ». Un positionnement qui a provoqué la scission du groupe politique et isole celui qui dit ne pas croire à la politique de la chaise vide.
En décembre dernier, il était classé par Jeune Afrique comme l’un des « dix losers » du continent africain. Mais au lendemain de l’annonce de la recevabilité de sa candidature par le Conseil constitutionnel pour l’élection présidentielle du 31 octobre, Pascal Affi N’Guessan continue de faire fi des commentaires négatifs. Depuis le début de sa carrière politique en 1986, il en a essuyé d’autres, bien plus sérieux, bien plus blessants. « Ça ne m’émeut pas. Quand vous n’êtes dans aucun des extrêmes, vous êtes critiqué de tous les côtés… »
À un mois et demi du scrutin, son énergie n’a pas le temps d’être gaspillée par les Cassandre. Il fait partie des trois challengers face au président sortant Alassane Ouattara, échappés d’une longue liste de 40 dossiers rejetés ; ceux de Mamadou Koulibaly, Albert Toikeusse Mabri et Marcel Amon-Tanoh, comme ceux de deux poids lourds : Guillaume Soro et Laurent Gbagbo.
L’homme de bientôt 68 ans reçoit dans une maison cossue du quartier Riviera 1 : une grande bâtisse beige et blanche avec palmiers, petits galets et hautes grilles, « juste à côté de chez Hamed Bakayoko [le Premier ministre, NDLR] », précise son assistant pour orienter le visiteur. La demeure est pourtant bien identifiable : c’est ce même domicile qui, il y a presque une décennie, avait été mis à sac pendant la crise post-électorale de 2010-2011.
Revenu dans ces murs depuis seulement quelques semaines, Pascal Affi N’Guessan semble y avoir rapidement retrouvé ses marques. Il y règne une ambiance feutrée et chaleureuse malgré l’armada d’assistants, de journalistes et d’agents de sécurité qui vont et viennent. « Il a fallu presque dix ans pour tout rénover, ça fait quelque chose de revenir ici », commente l’un de ses employés dans le patio ombragé. Depuis son bureau, l’hôte en complet bleu nuit lance un amical « Salut ! Ça va ? ». C’est ici qu’il reçoit ses invités. Ici aussi qu’il dit aimer lire « des essais principalement, je ne suis pas un grand amateur de romans », surtout depuis qu’il a « moins de temps pour faire du sport ». « J’aime surtout jouer au football », sourit-il, gêné semble-t-il, par la banalité d’une telle confession.
« Nous allons gagner »
Plutôt milieu de terrain qu’attaquant, Pascal Affi N’Guessan avance discrètement, à petites foulées depuis des années et se prépare à jouer dans quelques semaines le plus important des matchs : celui pour décrocher la présidence, une décennie après l’éviction de son parti du pouvoir et cinq ans après une première tentative infructueuse. Les équipes adverses : le RHDP d’Alassane Ouattara, le PDCI d’Henri Konan Bedié et le candidat indépendant Konan Kouadio Bertin.
Il reconnaît un « sentiment mitigé ». « Je suis satisfait, car j’ai pu traverser personnellement le dispositif juridique mais je ne suis pas heureux car un certain nombre de candidats qui méritent de participer à cette compétition ont été exclus sur des bases pas toujours évidentes, claires et explicables. Ces recalages constituent un affaiblissement de la qualité des élections », s’inquiète-t-il. « Mais avant les hommes, il y a les institutions. Et les institutions de notre pays avec le Conseil constitutionnel, en validant la candidature d’Alassane Ouattara sans argument juridique valable, ne nous a pas rassurés, dit-il l’air grave. Il faut que tous les acteurs et nous-mêmes candidats soyons convaincus que nous allons dans une compétition transparente et équitable, que le meilleur y sera déclaré vainqueur et que nous ne subirons pas une manipulation. »
Pour celui qui se revendique de la realpolitik, moins de candidats devrait vouloir dire moins de concurrents, mais Pascal Affi N’Guessan sourit : « Je ne crois pas que ce soit le nombre qui puisse améliorer ou désavantager une candidature, ça ne change rien à la qualité de ce que vous proposez. […] Qu’ils soient trois ou mille, ça n’a pas d’impact sur la qualité de votre projet politique. » Entre les lignes peut-être, un tacle bien appuyé au président sortant qui souhaite briguer un troisième mandat avec la bénédiction du Conseil constitutionnel, ce que l’opposition continue de contester.
Sans arrogance, Pascal Affi N’Guessan n’en est pas moins confiant et déterminé. Le 1er août dernier, lors du congrès extraordinaire de la frange du FPI qu’il dirige, il avait prévenu : « Je suis candidat pour gagner et nous allons gagner. » Mais nous, c’est qui ? Ce jour-là au palais de Treichville, l’assistance arborait certes un enthousiasme éclatant mais la salle était quelque peu clairsemée. Pendant de longues heures, cadres, responsables locaux et traditionnels, groupes de soutien et militants fidèles s’étaient succédé à la tribune et lors de retransmissions Skype, émettant de partout dans le pays pour vanter le pedigree de leur président.
« Considérant que le camarade Pascal Affi N’Guessan, candidat à la candidature, est resté constant, dans sa détermination à défendre et à promouvoir l’idéal et l’image du parti, nous exprimons notre soutien pour la victoire du FPI à la présidentielle de 2020 », avaient déclamé ses soutiens. Mais qui peut réellement l’ignorer ? Sur la scène et sous les spots lumineux roses et bleus qui surchauffaient la salle mal ventilée, se louvait l’ombre d’un autre homme que les Ivoiriens n’ont pas oublié. Au sein même de ses partisans, on l’avouait à demi-mots : « On ne suit pas Affi N’Guessan pour oublier Gbagbo, mais on dit qu’il faut bien qu’on aille de l’avant ! », expliquait Cyril en costume et attaché-case au sortir de la cérémonie. « Si Gbagbo revient, alors c’est sûr, tout le monde se rangera derrière lui. Mais il n’est pas là. Nous, on attend depuis des années et Affi fait le travail », soutenait aussi Séverin, t-shirt publicitaire et tongs élimées aux pieds.
« Laurent Gbagbo est une réalité politique qu’on ne peut pas ignorer »
Pascal Affi N’Guessan, originaire du centre-est de la Côte d’Ivoire, est « ingénieur dans les télécommunications, ancien fonctionnaire, ancien ministre de l’Industrie et du Tourisme (2000), ancien Premier ministre (2000-2003), ancien maire de la commune de Bongouanou (1990-1996), aujourd’hui député à l’Assemblée nationale (depuis 2016) et président du Conseil régional du Morounou (depuis 2018)… » et a « une certaine expérience des affaires de l’État avec plus de trente ans d’expérience politique », dit-il. Il est surtout le président du FPI « légal » – et son équipe tient à ce terme – : la branche reconnue par les autorités ivoiriennes depuis qu’une autre aile a été créée par les partisans de son mentor, celui qu’il continue d’ailleurs d’appeler son « père » : Laurent Gbagbo, fondateur historique du parti et ancien président de la Côte d’Ivoire de 2000 à 2011.
En face se tiennent les historiques, ceux qu’on qualifie souvent de « jusqu’au-boutistes », désormais de « dissidents » : les « GOR » – pour « Gbagbo ou rien » – réputés pour leur soutien indéfectible à l’ancien président en exil forcé en Belgique et leurs boycotts systématiques des grandes dates politiques depuis son absence de la scène ivoirienne. « GOR, ça rime avec hardcore », ironise-t-on d’ailleurs parmi les observateurs.
Pascal Affi N’Guessan, bien conscient qu’on ne lui pardonnera pas d’entacher l’image de Laurent Gbagbo ou de ses partisans, explique qu’il « n’aime pas ces qualificatifs ». « Oui, nous avons des divergences et nous avons eu des débats internes sur comment vivre politiquement l’après-11 avril [2011, NDLR]. Est-ce qu’on le vit dans une logique radicale de confrontation permanente ? Ou est-ce qu’on le vit dans une logique d’apaisement, de réconciliation ? »
Après le transfèrement de l’ancien président à la Cour pénale internationale en 2011, le FPI s’est rapidement scindé en deux factions : ceux qui voulaient occuper le terrain politique en l’absence du chef (pro-Affi) et ceux qui refusaient une succession pragmatique (pro-Gbagbo). La légende raconte d’ailleurs que si les premiers signes de divergences se sont fait jour entre les deux hommes dès les accords de Marcoussis en 2003, la rupture aurait symboliquement été entérinée en mars 2011, alors que la Côte d’Ivoire était en pleine guerre civile. Pascal Affi N’Guessan, ancien ministre et resté conseiller privilégié du président d’alors, lui aurait suggéré d’entrer dans des négociations et d’étudier des voies de sorties de crise, alors que son camp contestait la victoire à Alassane Ouattara dans les urnes. Le chef d’État déchu, acculé, aurait toutefois préféré suivre les conseils de sa vieille garde… La suite est connue : Laurent Gbagbo et ses proches sont arrêtés. Incarcérés dans des lieux différents, les deux amis ne se revoient pas pendant de très longues années : de potentiel dauphin, Pascal Affi N’Guessan revêt soudain l’habit du « traître » pour une large portion des militants FPI.
Dix ans après cette crise qui a provoqué la mort d’au moins 3 000 personnes et pour laquelle les responsabilités des uns et des autres n’ont jamais vraiment pu être imputées, six ans aussi après le procès qui lui a donné officiellement les clés du parti à la place de Laurent Gbagbo alors poursuivi – et depuis acquitté – par la Cour pénale internationale, Pascal Affi N’Guessan n’en a-t-il d’ailleurs pas marre, à l’aube d’un scrutin électoral d’envergure, qu’on lui parle encore de son ancien modèle, absent de la scène politique depuis lors ? « Non, pas du tout. Je suis un homme qui cherche toujours à être pragmatique, qui regarde la réalité en face, qui refuse de se bercer d’illusions, à ne pas vivre dans ma tour d’ivoire en niant la réalité. Laurent Gbagbo est une réalité, politique et électorale. D’ailleurs, quand on voit ceux qui l’ont combattu hier, défiler à Bruxelles ou à La Haye, s’accrocher à son éventuel soutien, on le comprend bien », ironise-t-il en faisant référence à la volte-face d’Henri Konan Bedié survenue quelques mois plus tôt.
Frondeur et « homme libre »
Après un premier rendez-vous manqué jugé « humiliant » par le candidat déclaré, Pascal Affi N’guessan et Laurent Gbagbo, sans officialiser une réconciliation franche, ont toutefois dîné à la même table à Bruxelles, à deux reprises en janvier dernier. Mais depuis, le camp GOR, auquel Affi et ses comparses sont suspendus pour évaluer la teneur des forces en présence pour l’élection, s’est muré dans le silence. Seule certitude : Laurent Gbagbo, radié des listes électorales et jugé inéligible par le Conseil constitutionnel, a vu sa candidature rejetée. Un seul candidat FPI va donc battre campagne : Pascal Affi N’Guessan. En coulisses, l’ancien chef de l’État se sait la « carte sauvage » de ce scrutin et l’objet de toutes les convoitises ; de la part de son ancien collaborateur et même de ses vieux ennemis. « Qui peut espérer gagner seul aujourd’hui, avec ses seuls partisans ? Personne ! », reconnaît Pascal Affi N’Guessan qui, à l’élection présidentielle de 2015, était arrivé deuxième avec quelque 9,29 % des suffrages : trop peu pour un homme qui n’avait pas réussi à rallier suffisamment la base des militants FPI face à la machine RHDP.
« Nous, nous avons fait un choix, qui a été combattu. Mais aujourd’hui, beaucoup se rendent compte que c’était incontournable. […] C’est la seule voie pour résoudre les problèmes de façon pacifique et démocratique, se rassure l’homme à l’aube de ce scrutin majeur. Étant donné la longue histoire qui nous unit, que nous nous inscrivons dans le combat qu’il a mené, et le prolongement de celui-ci, on espère qu’il acceptera de nous passer le flambeau, de nous passer l’onction, car il [Laurent Gbagbo, NDLR] a besoin que son combat soit prolongé et pris en charge par une nouvelle génération. C’est ce moment qui est arrivé. Et moi, je compte sur son sens de l’Histoire pour comprendre que ce que je fais, c’est pour garantir l’avenir de notre lutte. »
Vœu pieux ou prophétie autoréalisatrice ? Cette fois encore, sans un soutien de Laurent Gbagbo, arracher le poste suprême à Alassane Ouattara s’annonce ardu, pour ne pas dire impossible. Si en 2015, sa libération récente et le manque de temps pour rassembler pouvaient être évoqués, en 2020, malgré trois sièges gagnés à l’Assemblée nationale [en 2016, NDLR], son profil continue de faire grincer des dents. Dans les réunions de la plate-forme Ensemble pour la démocratie et la souveraineté, coalition de soutien à Laurent Gbagbo, les noms d’oiseaux continuent même de fuser à son endroit : « C’est un traître » ; « le faux-nez de Ouattara » ; « il n’est pas question de se rallier à lui, ce n’est plus notre camarade ! ».
« Je revendique que c’est une grave erreur que de faire une politique de la chaise vide, toujours ! Bien sûr, c’est difficile à concilier, en restant fidèle au passé tout en étant engagé dans l’avenir. Ne pas le renier mais réussir à l’enrichir sans en être prisonnier. Certains montent ça en épingle comme un arbre de trahison, mais d’autres l’apprécient et le voient comme un message d’espoir », se défend-il. Encore, inlassablement. « Il faut faire preuve d’autonomie », finit-il par lâcher.
Accusé continuellement ces dernières années d’être un « traître », qualifié au mieux de frondeur dans l’âme ou d’affranchi qui peine toutefois à prendre son envol seul, Pascal Affi N’Guessan préfère se dire « homme libre ». « Ma toute première action d’homme libre a été d’entrer au FPI en 1986 alors que je suis issu d’une famille acquise au PDCI, né dans une région à très large majorité PDCI, alors même que mon frère était élu maire sous cette bannière, rappelle-t-il. Mais c’est peut-être ça aussi mon problème, face à des gens qui sont dans des logiques de dépendance. J’ai suivi mon apprentissage au sein d’une formation politique, auprès d’un grand leader, mais j’estime que j’ai suffisamment appris, que j’ai un minimum de maîtrise, que je peux voler de mes propres ailes, je le fais. Certains refusent ça. Ils voudraient que je ne sois qu’un instrument. Je contribue mais je contribue librement. Et c’est pour ça aussi que je dis aussi librement que je soutiendrai librement Laurent Gbagbo s’il revenait. Je veux avoir la liberté de m’engager en son absence. Qu’on me l’interdise, c’est hors de question. Je suis prêt. Prêt à faire autant, si ce n’est mieux que dans le passé. »