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RELIGION : LE PAPE A BAHREÏN, DU 03 06 NOVEMBRE SUR FOND DE TOLERANCE RELIGIEUSE

Le pape se rend du 3 au 6 novembre à Bahreïn, où il compte apporter son soutien à la petite minorité catholique et encourager le dialogue interreligieux. Au risque de cautionner un régime autoritaire, dans un contexte de tensions entre la famille royale, sunnite, et la majorité chiite.

VOYAGE DECIDE PAR LE PAPE LUI-MEME

Pourquoi le pape François se rend-il à Bahreïn ? La question, posée à plusieurs interlocuteurs romains, provoque presque toujours la même réaction : de grands yeux et un air un peu ennuyé. « Bonne question… », Élude en privé un haut responsable de la Curie. Manière de dire que si le voyage a été décidé, c’est d’abord par le pape lui-même et personne d’autre.

Le voyage dans ce petit pays du Golfe, où il doit se rendre du 3 au 6 novembre, est en réalité d’abord une réponse à une invitation. Celle du roi de Bahreïn, Hamed Ben Issa Al Khalifa, d’abord adressée « de façon informelle », a expliqué à Vatican News, le média officiel du Vatican, le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’État du Saint-Siège.

UN FORUM ORGANISE SPECIALEMENT POUR LE PAPE ?

En choisissant ce petit royaume de la péninsule arabique comme destination de son 39e voyage apostolique en dehors d’Italie, le pape entend délivrer un message en faveur du dialogue interreligieux : il doit clôturer vendredi matin le Forum de Bahreïn pour le dialogue. Il y retrouvera 200 autres invités, lors de cet événement commencé la veille, et où l’on devrait vanter les mérites du dialogue entre « l’Orient » et « l’Occident ».

Directement voulu par le roi de Bahreïn, ce congrès fait fortement penser à celui auquel François a participé au Kazakhstan, en septembre. Comme à Astana, il y retrouvera d’ailleurs le grand imam d’Al-Azhar, Ahmed Al Tayeb. Mais contrairement au précédent kazakh, c’est la première fois qu’un tel forum est organisé ici. À tel point que mardi 1er novembre les participants, pourtant conviés par le royaume, n’avaient encore reçu ni le programme des deux jours de congrès, ni la liste des invités. « Ce forum n’aurait jamais existé sans la venue du pape », estime l’un d’eux, qui raconte avoir reçu son invitation le jour de l’annonce de la visite papale par le Vatican.

Sur le plan institutionnel, le régime de Bahreïn a – comme le Kazakhstan – fait du dialogue interreligieux un axe majeur de communication. Un exemple ? L’université publique italienne La Sapienza accueille depuis 2018 une chaire « roi Hamed pour le dialogue interreligieux et la coexistence pacifique ». Et si l’université italienne fut à l’époque choisie, c’est qu’elle est, avec ses 100 000 étudiants, la plus grande d’Europe.

Mais derrière cette politique interreligieuse largement vantée par le royaume, son approche des droits humains et même sa gestion en interne de sa propre diversité religieuse constituent l’un des points les plus problématiques de ce voyage. La famille royale (sunnite) impose une main de fer sur les deux tiers de la population qui se déclarent chiites, et dont les droits sont inférieurs aux Bahreïniens sunnites. Plusieurs associations ont réclamé l’annulation du voyage du pape en raison de la violation des droits humains dans le pays.

« LE CHOIX DE CE PAYS EST TOUT DE MEME UN PEU PROBLEMATIQUE »

« Le choix de ce pays est tout de même un peu problématique », juge un diplomate, pour qui il est « évident » que ce déplacement sera « critiqué ». « Les polémiques sur les droits de l’homme risquent un peu de cacher l’enjeu du dialogue interreligieux », poursuit la même source.

« Le pape va naturellement en parler », confirme-t-on au Vatican, où l’on considère que de telles critiques ne justifient pas l’annulation du voyage. Jean-Paul II en son temps, rappelle-t-on, visita des pays dont les pouvoirs étaient alors jugés bien peu fréquentables par la communauté internationale.

DANS L’OMBRE DE L’ARABIE SAOUDITE

François ira-t-il, comme le prédisent certains, jusqu’à œuvrer en faveur de la réconciliation entre les courants qui composent l’islam ? « Pas directement, estime un très bon connaisseur de la région. Mais le pape voit bien que la confrontation entre sunnites et chiites, y compris au niveau politique à travers l’Iran et l’Arabie saoudite, est à l’origine de conflits armés comme au Yémen et au Liban. »

« Je suis sûr qu’il aura une possibilité d’aborder discrètement aussi ces problématiques mais, comme habituellement, cela ne se fera pas en public », veut croire un responsable catholique qui connaît bien la région et ses tensions. Pour un autre observateur, ambassadeur en poste à Rome, ce voyage peut aussi être un message adressé à l’Arabie saoudite, dont Bahreïn est clairement un État vassal.

RARE TOLERANCE A L’EGARD DES CHRETIENS

Beaucoup, à Rome, jugent en tous les cas que le pape s’expose à un risque de récupération politique en s’affichant aux côtés du Roi. D’autant plus que François sera hébergé dans l’enceinte du palais présidentiel et qu’il entend bien remercier Hamed Ben Issa Al Khalifa pour le don du terrain dans les années 2010 pour construire la cathédrale Notre-Dame d’Arabie, la plus grande église de toute la région, inaugurée en 2021.

François s’y rendra vendredi après-midi pour participer à une prière œcuménique pour la paix, avant de célébrer la messe, le lendemain matin, au Stade national de Bahreïn, où plus de 20 000 participants sont attendus. Les catholiques du pays (80 000, dont 20 prêtres et 7 religieuses sur 1,4 million d’habitants) sont pour l’essentiel des étrangers et peuvent, à en croire les responsables catholiques locaux, pratiquer leur foi comme bon leur semble. Une liberté religieuse dans un pays musulman très remarquée au Vatican.

« Il y a deux hypothèses pour expliquer cette tolérance très rare dans la région, explique un spécialiste. Soit on peut penser que le pouvoir a compris que la liberté religieuse est une clé pour maintenir la paix sociale parmi la forte population étrangère installée dans le royaume. Mais on peut aussi attribuer cette tolérance aux valeurs humanistes d’un islam ouvert, comme l’hospitalité et la générosité. La vérité est sans doute entre les deux. »

Loup Besmond de Senneville (à Rome), avec Malo Tresca, in  Lacroix

 

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