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SOUDAN : LES FEMMES, FIGURES DE PROUE DE LA REVOLUTION

Les femmes se trouvaient en première ligne lors des manifestations ayant conduit à la chute du dictateur Omar El Béchir.

Chaque femme dans la rue défend ses droits.

La Soudanaise Hadia Hasaballa troque son élégante robe bleue pour une abaya noire et couvre ses épais cheveux d’un foulard beige. En ce 13 décembre 2021, la cofondatrice du groupe féministe « Les Gardiennes » s’apprête à rejoindre la huitième manifestation d’opposition au coup d’État du 25 octobre 2021. Outre la remise du pouvoir aux civils, elle réclame que les femmes soient enfin considérées dans ce pays où le patriarcat hérité de trente années de dictature militaro-islamiste perdure, trois ans après le début de la révolution amorcée le 19 décembre 2018. « Pour le régime islamiste, il était honteux pour une femme de vouloir sortir et de faire entendre sa voix. Nous sommes désormais présentes dans l’espace public et chaque femme dans la rue défend ses droits. Pour autant, les politiques continuent à penser que nous faisons office de décor », décrit Hadia Hasaballa.

Au Darfour où des filles et des femmes sont abusées, violées et torturées »

Les « kandakas » ou femmes révolutionnaires ont beau se placer à la proue des cortèges, justice tarde à leur être rendue. « Il y a trois ans, lorsque nous parlions de nos droits, les hommes répondaient que ce n’était pas la priorité. Désormais, ils commencent à reconnaître que c’est le moment de s’attaquer aux obstacles auxquels nous sommes confrontées, et en particulier dans les zones rurales ou de conflit comme au Darfour où des filles et des femmes sont abusées, violées et torturées », décrit l’activiste Deema Alasad dite « Asadoya ».

Les réformes renforçant la protection des Soudanaises n’ont pas vu le jour. « Parce que le Conseil législatif n’a jamais été formé. Avant le putsch, seul le Conseil des ministres pouvait faire passer des lois mais il dépendait du Conseil de souveraineté présidé par les militaires. Tout a été ralenti, peut-être volontairement », avance Sulima Ishaq, qui préside l’unité pour combattre les violences faites aux femmes et aux enfants au sein du ministère du développement social.

Les droits des femmes sont bafoués

En juillet, elle a remis une version préliminaire de la loi sur les violences faites aux femmes, prévoyant un soutien légal pour les « survivantes » de toute forme d’abus, la criminalisation des violences domestiques et des mariages forcés ou précoces. Ainsi qu’une police et une justice dédiées aux femmes comme cela existe pour les enfants depuis 2010. Mais ce texte est resté lettre morte. Et il est toujours interdit pour une femme de louer une chambre d’hôtel sans son mari, tandis que reconnaître son enfant en tant que mère célibataire ou demander le divorce relèvent du parcours du combattant.

Des progrès superficiels

L’unique avancée concerne la suppression, en novembre 2019, de la loi sur l’ordre public qui interdisait aux femmes de porter des pantalons ou de faire du sport au côté des hommes. « Il s’agit d’un progrès très superficiel. La police des mœurs continue à sévir », rapporte Enass Muzamel, une activiste à la tête d’une organisation soutenant la transition démocratique. Elle souligne en outre le poids des diktats sociaux qui oblige par exemple les femmes à couvrir leurs cheveux dans les transports en commun.

Les femmes sont ostracisées

À de rares exceptions près, l’accès aux responsabilités politiques demeure également bouché. Les femmes qualifiées existent pourtant. Une enquête conduite par Sara Musa (1) a identifié 1 070 candidates compétentes pour siéger au futur Parlement. « Je ne dirais pas que les hommes ne font pas confiance aux femmes. Elles ne sont tout simplement pas dans leur radar », analyse-t-elle. Une situation qui pourrait évoluer grâce aux jeunes investis dans les comités de résistance. Réparties dans tout le pays et totalement mixtes, ces antennes locales pro démocratie préparent une feuille de route commune afin de proposer une alternative au putsch, qui a dangereusement fait reculer les libertés.

(1) Membre de Mansam, une alliance de groupes politiques et d’organisations de femmes, qui a signé la déclaration fondatrice des Forces pour la liberté et le changement du 1er janvier 2019.

Augustine Passilly. In Lacroix

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