vendredi, mars 29, 2024
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« TRUMP A OPTE POUR L’ALLIANCE AVEC LES PETRO-MONARCHIES AU DETRIMENT DE L’IRAN »

Le retrait américain de l’accord sur le nucléaire iranien illustre la volte-face radicale de la diplomatie américaine au Proche-Orient. Il plonge la région dans l’inconnu, alors que les tensions sont vives entre la puissance chiite et Israël.

Le président américain a annoncé, mardi 8 mai, que les États-Unis se désengageaient de l’accord de 2015 sur le nucléaire iranien. La décision porte un coup dur, voire fatal, aux treize ans de négociations entre la république islamique et les membres du Conseil de sécurité de l’ONU (plus l’Allemagne) pour stopper le programme nucléaire clandestin iranien. Jugeant l’accord « horrible et partial », Donal Trump a averti que son administration allait « instituer le plus haut niveau de sanctions économiques » contre l’Iran.

Le retrait américain de l’accord et le retour des sanctions plongent le Proche-Orient dans l’inconnu. L’Iran intervient militairement en Irak, en Syrie, au Liban et au Yémen, où il entre en confrontation directe ou indirecte avec Israël et l’Arabie saoudite. Analyse de la situation avec le spécialiste de l’Iran David Rigoulet-Roze, chercheur à l’Institut français d’analyse stratégique et rédacteur en chef de la revue Orients stratégiques.

France 24 : Le retour des sanctions peut-il mettre des bâtons dans les roues à la politique expansionniste iranienne au Proche-Orient ?

David Rigoulet-Roze : ll y a un débat stratégique sur cette question. Ceux qui entourent Donald Trump, en l’occurrence le nouveau conseiller à la sécurité nationale John Bolton et le nouveau secrétaire d’État Mike Pompeo, sont tous les deux des « iranophobes » déclarés, et des « faucons » partisans au moins implicitement d’un changement de régime en Iran. La levée des sanctions les plus importantes [grâce à la signature de l’accord du 14 juillet 2015] aurait, selon eux, permis à l’Iran de bénéficier de rentrées financières qui n’auraient pas été utilisées pour améliorer la situation de la population iranienne, mais auraient plutôt servi à financer une politique expansionniste de l’Iran dans la région.

Ce qui n’est pas totalement faux. Le cash qui a été généré par le retour de l’Iran sur le marché pétrolier a été capté en partie pour financer les intérêts stratégiques régionaux de l’Iran, que ce soit en Irak, en Syrie, pays dans lesquels l’engagement iranien a un coût économique considérable, voire dans une moindre mesure au Yémen. Mais ce raisonnement [des « faucons »] n’est pas entièrement validé non plus car une partie de l’argent a tout de même profité à la population dans la mesure où, dans le prolongement immédiat de la signature de l’accord, le gouvernement d’Hassan Rohani était parvenu à stabiliser l’inflation à moins de 10 % avant qu’elle ne reparte aujourd’hui à la hausse.

Toujours est-il que selon les « faucons » qui entourent désormais Trump, le rétablissement de sanctions les plus sévères serait susceptible d’accélérer un processus ce déstabilisation dont on a déjà perçu certains symptômes lors des émeutes de fin décembre 2017-début janvier 2018, et rendrait possible un changement de régime. Le problème de ce type de stratégie est qu’il est hautement hasardeux et dangereux. Les précédents en la matière ne plaident pas vraiment en sa faveur au regard des conséquences non-maîtrisées induites par le renversement de Saddam Hussein en 2003. Et ce d’autant moins que la population iranienne, qui paradoxalement est pro-Occident contrairement à ses dirigeants, pourrait alors par réflexe nationaliste redevenir anti-américaine. C’est quelque chose que n’a probablement pas mesuré le président américain dans sa décision.

Par extension, l’Iran va-t-il être financièrement affaibli ?

C’est probablement le calcul qui a justifié le rétablissement des sanctions, même si on ne sait pas s’il sera pleinement opératoire : il s’agit en tout cas de « rogner les ailes de l’Iran hors de ses frontières » en tarissant les rentrées en cash. Le rétablissement des sanctions aura une certaine efficacité. En effet, non seulement il va assécher les rentrées financières pétrolières, mais en plus il va hypothéquer les investissements directs étrangers. Les entreprises occidentales en général, et européennes en particulier, qui ambitionnaient de revenir sur le marché iranien ne le feront sans doute pas. Elles ne voudront pas prendre le risque de se voir interdire l’immense marché américain simplement pour faire des affaires avec les Iraniens. Cela risque donc d’être difficile pour l’Iran dont le président Hassan Rohani déclarait juste avant l’annonce de la décision de Donald Trump : « Que nous soyons sous sanctions ou pas, nous devons voler de nos propres ailes. C’est très important pour le développement de notre pays. »

Or, si l’Iran éprouve des difficultés notamment à écouler son pétrole dont le cours est remonté autour de 70 dollars, cela ne peut que réjouir l’ennemi séculaire de Téhéran, qu’est Riyad qui a besoin d’un baril à 80-90 dollars pour sortir du rouge en termes budgétaires et financer ainsi plus aisément son fameux plan « Vision Arabie Saoudite 2030 ».

En fermant toutes les portes avec Téhéran au profit de l’Arabie saoudite et d’Israël, Donald Trump renie-t-il la diplomatie mise en place par Barack Obama ?

S’il y a un élément constant pour comprendre le mécanisme inhérent à la prise de décision de Donald Trump, c’est la volonté affichée de « détricoter » systématiquement ce qu’avait fait son prédécesseur Barack Obama, à l’exception notable du renforcement des liens avec Israël préexistants à l’Administration Trump.

En revanche, la différence est patente concernant la relation avec l’Arabie saoudite. Barack Obama, sans doute plus encore que son prédécesseur G.W. Bush, avait souhaité, dans le prolongement des attentats du 11 septembre [les attentats de 2001], d’opérer un rééquilibrage stratégique dans la région. D’où le choix de réintégrer l’Iran dans la communauté internationale. C’est cet ajustement stratégique qui a été laminé par le président Donald Trump, qui a opté pour le renforcement exclusif de l’alliance avec les pétro-monarchies au détriment de l’Iran. C’est somme toute une forme de retour aux sources avec la réactivation affirmée du fameux « pacte du Quincy » de 1945 qui scellait durablement la grande alliance américano-saoudienne. De ce point de vue, la rupture est majeure avec l’Administration Obama.

Israël a effectué depuis début avril plusieurs bombardements sur des bases militaires en Syrie, visant des intérêts stratégiques iraniens. En tournant le dos à l’Iran, l’administration Trump est-elle en train d’attiser les braises entre les deux puissances régionales ?

Elles n’en ont pas besoin. Contextuellement, il y a une coïncidence qui n’est pas fortuite, car cela s’inscrit dans un ensemble général de plus en plus belligène, mais il n’y a pas de lien mécanique [entre la situation actuelle et le retour des sanctions]. En effet, même si Trump n’avait pas ostensiblement dénoncé l’accord, ces bombardements israéliens se produiraient quand même. Ils ont eu lieu avant la décision de Donald Trump. Et ces frappes israéliennes se poursuivront après, sans doute de manière de plus en plus importante au regard de la perception accrue de la menace que les bases iraniennes en Syrie font peser sur Israël.

Pour les Israéliens, des bases iraniennes pérennes [en Syrie] constituent une ligne rouge absolue. La tension ne cesse de monter. Une partie des réservistes ont été mobilisés pour la région Nord. Le gouvernement israélien a donné l’ordre d’ouvrir les abris sécurisés pour les civils. Israël se prépare à un conflit ouvert. D’ailleurs [le premier ministre israélien] Benjamin Netanyahou a déclaré, le 6 mai dernier, que si guerre il doit y avoir pour se prémunir des tentatives d’installations iraniennes en Syrie, « Il vaut mieux que ce soit maintenant que plus tard ».

NDLR : cette interview a été réalisée avant les tirs de missiles attribués à l’Iran sur le Golan dans la nuit du 9 au 10 mai, auxquels Israël a répondu en bombardant des bases militaires en Syrie.

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