Alors que depuis le 22 février les manifestations contre le pouvoir en Algérie se sont déroulées sans véritables débordements, le rassemblement de ce vendredi 12 avril à Alger a été émaillé de violences. Manifestants et associations s’inquiètent d’un durcissement de la réponse policière tandis que s’ouvre une nouvelle semaine de mobilisation.
« Ils provoquent le peuple algérien alors que nous manifestons pacifiquement. Je ne sais pas où on va car là, ça a vraiment dégénéré… » Au lendemain des violences d’Alger, la colère se mêle à l’inquiétude chez Hamza, Algérois d’une trentaine d’années. Des premières manifestations contre un cinquième mandat du président Bouteflika fin février, à celles, actuelles, contre la transition menée par Abdelkader Bensalah, le stewart est de tous les rassemblements dans la capitale. Et il sent bien que l’atmosphère se charge.
Ce huitième vendredi de contestation s’est achevé dans les heurts et la fumée des bombes lacrymogènes à Alger. Pour certains, ce fut une demi-suprise : la tension était palpable dès les premiers attroupements. Ainsi, place de la Grande Poste, de nombreux manifestants avaient noté un déploiement policier inhabituel aux premières heures de la matinée. Des forces anti-émeutes y avaient en effet pris position, une première pour un vendredi de mobilisation.
« Depuis le 22 février, les policiers étaient en position défensive, mais là, nous avons vu un autre visage, raconte le journaliste Akram Kharief, spécialiste des questions de défense et de sécurité. Nous avons assisté en fin de journée à l’apparition d’un groupe d’une centaine de jeunes qui se sont directement attaqués au cordon de policiers qui était le plus proche de la place centrale où se déroulait la manifestation. » Jets de pierre, de bouteilles. « La police a reculé puis a chargé et elle en a profité pour disperser toute la manifestation, en tirant des grenades lacrymogènes dans le tunnel des facultés, qui était alors bondé de monde. » S’ensuivit un mouvement de panique. « Heureusement qu’il n’y a pas eu de mort », souffle le journaliste.
Ce raidissement des forces de police est observé depuis plusieurs jours maintenant. Mardi dernier, déjà, une manifestation d’étudiants avait été dispersée manu militari. Une première, là encore. « On voit que depuis une dizaine de jours, les autorités ont donné des instructions pour empêcher les rassemblements dans la journée pendant la semaine et encadrer, très précautionneusement, les manifestations du vendredi », note Akram Kharief.
On est désormais loin des scènes de fraternisation entre forces de l’ordre et manifestants, malicieusement diffusées sur YouTube, et qui offraient un contraste saisissant avec ce qui se passait les mêmes week-ends, de l’autre côté de la Méditerranée, entre « gilets jaunes » et policiers français.
Consciente des interrogations que son action a soulevées vendredi, la police algérienne s’est défendue de toute volonté de répression. Elle a par ailleurs annoncé l’arrestation de 108 individus et, dans un communiqué publié sur Facebook, a imputé l’origine des troubles à des « étrangers » ainsi que des « délinquants » qui « n’avaient d’objectif que celui de jeter des enfants dans le feu de l’action ».
Quand bien même, cela n’explique pas une telle réaction, poursuit le journaliste Akram Kharief. « On a eu ce phénomène de casse les trois, quatre premières manifestations qui ont pourtant été à chaque fois bien gérées, bien contenues par la police. »
Un « canon à son » polémique
Symbole de cette défiance qui infuse parmi les manifestants, ce flot d’interrogations sur l’usage d’un « canon à son » lors de certains rassemblements, comme ce fut le cas, par exemple, mardi dernier, lors de la manifestation des étudiants à Alger. Hamza y était : « C’était insupportable. Quand ils l’ont déployé, j’étais à trois ou quatre mètres. Je ne pouvais même pas le filmer, j’ai dû m’éloigner. » C’est précisément l’effet escompté.
Ce dispositif, fabriqué par la société californienne LRAD Corporation, et monté sur des véhicules anti-émeutes NIMR ISV, est à double emploi : il peut servir de haut-parleur pour dialoguer avec la foule ou émettre un son strident pour la disperser. Sur plusieurs vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, on peut clairement observer l’effet que cela a eu sur les manifestants algériens.
Saïd Salhi, vice-président de Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH) a été le premier à tirer la sonnette d’alarme : « On n’y comprenait rien du tout, c’était quelque chose de nouveau. On s’est documenté et ces engins sont vraiment dangereux. […] Selon nos informations, cela peut monter jusqu’à 165 décibels », soit bien au-delà du seuil de douleur généralement fixé à 115 ou 120 décibels.
Les canons de harcèlement acoustique, développés à l’origine pour le secteur militaire, ont été fréquemment employés lors de rassemblements aux États-Unis à partir du milieu des années 2000. Mais en juin dernier, son usage a été jugé « anticonstitutionnel » par une cour d’appel new-yorkaise et assimilé à un « abus de force » dans le cas d’une manifestation qui s’était déroulée quelques années plus tôt à Manhattan. « Le problème posé par des protestataires sur la voie publique ne justifiait pas l’utilisation de la force, a fortiori une force capable de causer une blessure grave, telle qu’une perte auditive », soulignait la cour dans son arrêt.
Autant que la dangerosité du dispositif, c’est la pertinence de son emploi dans le cas algérien qu’interroge aussi Saïd Salhi. « On a interpellé le gouvernement sur ce sujet. D’autant qu’aujourd’hui en Algérie, on est face à des manifestations pacifiques. »
Les autorités n’ont pas encore répondu à l’appel de la LADDH alors que débute une nouvelle semaine de mobilisation. Malgré les violences de vendredi et les 87 blessés dénombrés par les autorités à Alger, Hamza, lui, sera de retour dans la rue. La police aussi. Ce week-end, une dizaine de militants d’un mouvement de jeunesse et d’un parti de gauche ont été arrêtés alors qu’ils s’apprêtaient à manifester sur le parvis de la Grande Poste, avant d’être relâchés.