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PORTRAIT: EL HADJ ALPHA CISSE, l’ERMITE DE SOKORO.

Dans le cadre de mon reportage à Sokoro, ville situé à l’extrême Nord de la Côte d’ivoire, faisant frontière avec le Mali et la Guinée, j’ai fait paraitre déjà deux articles.

Le premier a porté sur la découverte d’une Côte d’ivoire en Chantier, d’Abidjan à Sokoro et, le deuxième s’est appesanti sur la radioscopie de cette même ville.

Dans ce présent article qui fait partie du dossier sur l’islam à sokoro, je vous fais part de ma rencontre avec un saint homme qui m’a beaucoup marqué.

Ce vendredi 22 octobre 2021, après la prière de djouma (vendredi), je me mets en route pour sokoro1 en vue de visiter la mosquée multi-centenaire de la ville. Je suis en compagnie de mon ainé et guide, le major à la retraite du GATL, Labassi Cissé. Après avoir traversé la rivière Brico qui sépare Sokoro2 de Sokoro1, mon guide me dirige dans une cour où se dresse une bâtisse imposante en banco de par sa stature, qui à vue d’œil, tombe en ruine .Cette bâtisse est appelée par les Sokorokas (habitants de Sokoro, en malinké), Bili.

Impression de sérénité

A son entrée, nous trouvons El hadj CISSE Alpha, un septuagénaire dont la vue impose respect. En effet, au premier coup d’œil, il se dégage de ce vieillard une certaine sérénité qui ne peut laisser le visiteur indiffèrent. Grand de taille, un peu courbé par le poids de l’âge et également du fait de sa grande taille, la barbe poivre sel, il est habillé d’une tenue en Bazin qui tire sur le violet. Celle-ci est recouverte d’une gandoura blanche, le tout orné par une écharpe noire qu’il porte sur la tête.

Le Major Labassi lance la traditionnelle, «  Assalam aléikoum.» d’usage en islam c’est-à-dire « que la paix soit sur vous. ».C’est une voix à peine audible qui nous répond en arabe ;ce qui donne en malinké : « que la paix et la miséricorde de Dieu soient sur vous ô vous qui franchissez la porte de mon humble demeure. »

Nassidji

Après ces civilités, il nous reçoit dans son environnement qui semble être le reflet de sa foi. Dans ce sens, un coup d’œil rapide sur les lieux ,me permet de voir étalés en de nombreux endroits, des corans, des manuscrits mais également, beaucoup de bouteilles et même des bidons de quatre à cinq litres contenant certainement du Nassidji .Cette eau est confectionnée à base de versets coraniques écrits sur des tablettes nommées walagas avec de l’encre faite à base de riz ou d’autres produits qu’on appelle, daba.

Le Nassidji qu’on pourrait qualifier d’eau bénite, a de nos jours tendance à disparaitre du fait de l’évolution des populations musulmanes qui savent de plus en plus lire et écrire l’arabe. Cette « eau du coran » comme l’appellent encore certaines personnes, fait partie de ces marques de l’islam traditionnel qui ont encore longue vie dans les contrées éloignées des grandes agglomérations où l’écriture arabe constitue encore un mystère. Les bidons de cette eau me situent sur l’ambiance qui doit prévaloir dans ces lieux où les habitants ont encore une croyance profonde aux bénédictions faites par les karamoko ou Marabouts au sens noble du terme.

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« Les Hommes ont tellement de problèmes !»

A notre arrivée, il était sur le point de consommer le plat frugal qui était posé sur un escarbot devant lui. C’est en ce moment que je constate qu’il est plus de 15 heures .Cependant, notre homme n’avait pas encore mangé, vu le défilé des visiteurs qui ne cessent de se succéder : « c’est ainsi tous les jours surtout en cette période de Mahoulid où les populations de la basse côte remontent ici au Nord » me précise mon guide.

Comme pour entériner ces propos, notre érudit affirme: «les Hommes ont tellement de problèmes qu’il faut se donner le temps de les écouter. Cette écoute attentive est déjà le commencement de la résolution de leurs problèmes.»

L’opposé du maître des DIALLOBES

A sa vue, je ne puis m’empêcher de replonger dans mes lectures, notamment, celle de l’Aventure Ambiguë de l’auteur Sénégalais cheikh Amidou Kane .Dans ce classique du roman africain ,il est question du Maitre des Diallobé, un austère marabout qui avait à charge l’éducation religieuse et spirituelle du héros de l’œuvre ,Samba Diallo .Ce dernier va effectivement recevoir une éducation à la spartiate de son maitre qui avait tout abandonné pour se consacrer à Dieu .Pour tous ceux de ma génération qui ont étudié cette œuvre, le maitre des Diallobés, dans une démarche traditionnelle qui n’écartait pas le châtiment, était très dur avec Samba Diallo et ce, par amour

Cependant, dans mon fort intérieur, je me suis dit en ce moment que cet ermite, par la douceur de sa voix et la finesse de ses gestes, ne pourrait faire du mal à une mouche à plus forte raison, être sévère envers un enfant comme ce fut le cas du maitre des Diallobés avec Samba Diallo. Là s’arrête la comparaison.

Pendant que je suis plongé dans mes réflexions, mon guide, très subtile, me fait signe de laisser le sage se restaurer puisque dans tous les cas, il va officier la prière de 16heures qui se déroulera dans les instants qui vont suivre. C’est justement ce qui va se passer. Il va effectivement diriger la prière de Asr (16 heures) .Nous sommes une dizaine de personnes à prier sous sa direction.

Erudits discrets

Après avoir accompli son devoir de musulman, il accepte de répondre à mes questions et c’est en ce moment que j’en apprends beaucoup sur lui. Par la même occasion, je découvre que j’ai en face de moi un de ces érudits que compte l’Afrique, qui dans la discrétion, ont consacré toute leur vie à Dieu. On peut citer pèle mêle, Kankan Sékouba en Guinée, Cheikh Hamaoulah en Mauritanie, Cheikh Amadou Bamba au Sénégal, Cheikh Ibrahim Sonta en Côte d’Ivoire, pour ne citer que ceux-là : des amis de Dieu qui sont devenus de icônes à travers leurs pays ou même au-delà.

Nakaba Saran SAVANE

A travers nos échanges, j’apprends qu’il est de la septième génération d’une lignée de marabouts dont une femme, sa grand-mère, Nakaba Saran Savané .Chose rare, cette dame était une walidate en d’autres termes, une sainte, dans cette zone régie par le système patriarcale où les femmes ont toujours été confinées aux seconds rôles. Cependant, au vu de son nom de famille, SAVANE, notre sainte a dû bénéficier de circonstances particulières. En effet, dans le cadre de l’organisation sociopolitique, socioculturelle et socioreligieuse de la région du Denguélé où chaque famille a son parking, les SAVANE constituent la famille imamale. Ceci expliquant cela, son éducation a dû prendre en compte un enseignement approfondi de l’islam malgré son statut de femme.

L’au-delà, sa préoccupation majeure

La suite de notre entretien me permettra de cerner autant que faire se peut, mon interlocuteur dont les préoccupations se ramènent toujours à l’au-delà ; les préoccupations matérielles étant toujours ramenées au second plan ce qui n’est pas le cas pour nous autres pauvres pécheurs.

A l’évidence, ce saint homme comme je me suis permis de le qualifier, ne vit que de prières et de Dieu. Quand je lui parle des dures réalités de l’existence actuelle auxquelles sont confrontés les humains condamnés à se battre pour survivre, comme toute réponse il avance les propos suivants : «c’est Dieu qui nourrit ! Il nourrit les oiseaux dans les cieux, les termites, les insectes, les animaux, les poisons qui vivent dans l’eau.Dieu ne nous charge pas de problèmes que nous ne puissions supporter. C’est lui qui nous a créés et il apporte à chacun de nous sa part de nourriture »

«Prie comme sui tu allais mourir à l’instant !»

Quand je lui parle de la nécessité pour tout Homme d’élaborer des projets, il me ramène encore à son thème favori: «Des projets? Pourquoi pas ? Mais dans ce sens, travaille comme si tu allais vivre éternellement. Cependant, prie comme sui tu allais mourir dans l’instant qui suit. N’oublie jamais, quel que soit ton projet, de tenir compte de la mort car Dieu peut te rappeler à tout moment». Un véritable dialogue de sourds entre deux personnes qui ne voient pas les choses de la même manière.

Le Major Labassi Cissé, en profite pour me souffler à l’oreille:« Demande lui des prières et tu verras ! Les gens se déplacent de partout pour solliciter ses bénédictions. Profite-en donc !»

Par où commencer?

Et c’est à ce moment que je me demande par où commencer tant les problèmes existentiels sont nombreux : promotion sociale, salaires inexistants ou rikiki de journaliste, facture d’eau et d’électricité, impôts impayés, Covid-19, problèmes de scolarité des enfants, en un mot comme en cent, les problèmes récurrents du citoyen lambda qui passe sa vie sous stress. Mais pour mon interlocuteur:« tout ce qui est dans les cieux et sur la terre appartient à Dieu et Dieu est capable de tout. Il n’y a de problèmes qu’il ne puisse résoudre !»

Dans ces conditions, comment ne pas demander à ce saint homme d’intercéder auprès de Dieu pour la résolution de mes préoccupations mondaines?

«Celui qui a Dieu a tout ! »

Sans se démarquer de sa logique, pendant que je m’échine à lui parler des problèmes existentiels, lui dans un ton calme et posé me répond : «demande à Dieu de te donner l’au-delà et il te donnera la vie ici-bas.» et d’ajouter avec sa voix fluette « a vie ici-bas, n’est qu’un transit vers l’au-delà. Celui qui a Dieu a tout et celui qui a tout et qui n’a pas Dieu, n’a rien! »

A travers cette conversation, au-delà de ce qui peut apparaître comme un dialogue de sourds, se dégagent, deux conceptions différentes de la vie qui s’affrontent. L’une matérialiste et l’autre idéaliste, cet idéalisme fondé essentiellement sur la recherche de Dieu qui permet de se contenter du peu et où il s’agit de construire son bonheur autour du peu qu’on gagne et surtout, de s’adosser à la manne divine.

A l’évidence, cette vie qu’a choisie El Hadj Alpha Cissé ne prend pas en compte les réalités du monde que nous adorons.

Paradoxe des paradoxes.

Paradoxe des paradoxes. Voici un homme qui s’est détaché des préoccupations matérielles et qui vit heureux .Et pourtant, à longueur de journée, défilent des personnes nanties exerçant diverses fonctions, des autorités et non des moindres, des personnes qui cherchent à améliorer leurs conditions de vie, des nécessiteux, etc. De quoi se poser beaucoup de questions sur le sens même du bonheur.

En plus, le sage d’après les informations que nous recueillons, refuse de quitter la maison qui l’abrite et qui risque de s’écouler, preuve s’il en faut, qu’il néglige la mort. Et quand j’invoque le problème, il répond avec sérénité:« la mort fait partie de notre quotidien. Il y a des gens qui sont dans de grandes maisons et qui meurent. Il y a des bébés qui n’ont jamais vu ce monde et qui meurent dès la naissance. Le jour où Dieu décidera de m’ôter la vie, il le fera. Il peut le faire ici, ou ailleurs. Je ne pourrai rien changer à mon destin. Si l’aisance pouvait empêcher la mort, le Président Houphouët ne serait pas mort!  Les Rois d’Arabie saoudite ne seraient pas morts ! ».

Devant un tel désintéressement, devant une telle élévation spirituelle, Il est évident que l’on ne peut que se poser de nombreuses questions relatives à notre propre foi et à nos rapports avec Dieu.

En voie de devenir philosophe

Dans tous les cas, cette rencontre pleine de leçons suscite en moi une plongée dans mon tréfonds intérieur, toute chose qui me permet  de sonder mon degré de foi. En d’autres termes : est-ce que je suis croyant? Si tel est le cas, à quel degré? Mais en même temps, une autre question surgit à mon niveau et qui est celle-ci : au stade actuel de l’évolution du Monde, peut-on faire fi des préoccupations matérielles ? Violente question comme dirait l’Autre. De quoi  faire de moi un philosophe.

En fin de compte, j’adresse cette invocation au Seigneur des Mondes : «Ô ’Allah le Tout puissant, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux, éclaire ma lanterne qui vacille

kemebrama@hotmail.com

A SUIVRE : LA MOSQUEE MULTICENTENAIRE DE SOKORO

 

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