Le scandale international né de l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi au consulat saoudien d’Istanbul a éclaboussé le monde du sport, outil de softpower par excellence des monarchies du Golfe.
L’onde de choc de l’affaire Khashoggi, du nom du journaliste saoudien assassiné au consulat de son pays à Istanbul, a fini par atteindre le monde du sport. Rien de moins naturel, au vu de ce que les autorités saoudiennes ont investi ces dernières années pour en faire l’un des leviers principaux de leur stratégie de softpower à travers le monde.
Sans surprise, c’est du côté du football – immensément populaire en Arabie saoudite – que la première polémique a trouvé un écho planétaire, samedi 27 octobre, par la voix d’Amnesty International. L’ONG appelle deux clubs italiens, la Juventus Turin et l’AC Milan, à boycotter la Supercoupe d’Italie, que Riyad accueillera en janvier prochain puis à l’hiver 2020.
« Les grands clubs comme la Juventus et l’AC Milan doivent comprendre que leur participation à des événements sportifs dans ce pays pourrait être considérée comme une caution sportive », a estimé le responsable de la section politique d’Amnesty International au Royaume-Uni, Allan Hogarth. Il a invité les géants italiens à « réfléchir à deux fois au signal que cela enverrait aux supporters sportifs dans le monde et aux courageux militants des droits de l’Homme en Arabie saoudite ».
Une demande qui faisait suite à l’appel similaire lancé par l’ex-ministre italien des Sports Luca Lotti. Sur son compte Facebook, le député invitait les autorités footballistiques italiennes à réévaluer la décision de jouer les Supercoupes 2019 et 2020 sur le sol saoudien, afin d’éviter au football italien « d’écrire une des pages les plus sombres de son histoire ». Vœu pieux ? Un rétropédalage ne serait en tout cas pas sans conséquences, ne serait-ce que sur le plan économique puisque, selon les médias italiens, l’accord entre la Ligue italienne de football et Riyad se serait négocié autour de 7 millions d’euros, en juin dernier.
Nadal et Djokovic interpellés
Dimanche 28 octobre, la polémique s’est propagée au tennis. Présents à Paris pour y disputer le dernier Masters 1000 de la saison, Rafael Nadal et Novak Djokovic n’ont pas pu échapper aux questions. En cause, un match d’exhibition programmé à Jeddah – à quelques kilomètres de La Mecque, dans le centre ouest de l’Arabie saoudite – à la fin du mois de décembre. Le contrat, signé de longue date entre les entourages des deux joueurs et l’Autorité générale du sport saoudien, met aujourd’hui tout le monde dans l’embarras.
En conférence de presse, le numéro un mondial espagnol n’a pas botté en touche, mais il a reconnu que l’affaire était loin d’être tranchée. « Quand ce type de choses se produit, c’est catastrophique, c’est terrible. Un journaliste a perdu la vie. Et je sais que des choses horribles se sont passées à l’intérieur de ce consulat, a-t-il expliqué. Donc on est en train d’évaluer la situation et on espère que les choses vont s’éclaircir le plus vite possible. »
Même son de cloche du côté du Serbe : « Malheureusement, on s’est retrouvés tous les deux attirés dans cette situation. […] C’était une décision tennistique, professionnelle, à l’époque. Maintenant, je suis conscient de ce qui se passe avec l’Arabie saoudite. Quand on voit quelque chose de ce genre, bien entendu, on a un ressenti. Mais je ne peux pas vous en dire davantage. »
Djokovic, qui a rappelé avec insistance qu’il était engagé depuis plus d’un an avec l’organisateur de l’événement, a tout de même avoué qu’il attendait d’avoir « plus d’informations sur ce qui se passe, afin de pouvoir prendre une décision rationnelle pour savoir s’il convient d’y aller ou pas ». Un renoncement de la part des deux joueurs aurait pour conséquence directe la perte sèche d’une prime d’un million de dollars (880 000 euros environ) par tête, sans compter d’éventuelles conséquences à moyen terme.
De nombreuses disciplines concernées
Et ces deux affaires ne pourraient finalement constituer que la partie émergée de l’iceberg. Car si la rencontre amicale de football entre le Brésil et l’Argentine, que Riyad a accueillie à la mi-octobre, a échappé à la polémique, d’autres événements majeurs aux contrats de longue durée doivent avoir lieu dans le royaume ces prochains mois.
Parmi eux, le cas du Crown Jewel, un show de catch organisé par la toute puissante World Wrestling Entertainment (WWE), semble déjà réglé. L’événement, programmé le 2 novembre, aura bien lieu, comme l’a confirmé l’instance décisionnaire de la discipline, non sans regretter la situation. « Considérant le crime odieux, notre entreprise a dû faire face à une décision très difficile [et] a décidé de respecter ses obligations contractuelles avec l’Autorité sportive générale et d’organiser l’événement. » Une décision qui n’a toutefois pas fait l’unanimité, suscitant même la colère d’une partie du public, lors d’un autre « event » aux États-Unis. À l’instar d’autres stars du catch qui pourraient faire défection, l’emblématique John Cena a même été retiré de la programmation à sa demande.
D’autres compétitions sportives, à la visibilité moindre, ont pour le moment exclu de remettre en cause leur calendrier. C’est notamment le cas du Tour européen de golf, qui s’est engagé au printemps dernier à délocaliser l’un de ses rendez-vous en Arabie saoudite pour les trois prochaines saisons. Le premier, qui se tiendra du 31 janvier au 3 février au Royal Greens Gold and Country Club, est maintenu.
Le constat est identique en sport automobile, où la Formule E doit faire une escale saoudienne le 15 décembre prochain. « Concernant l’incident, nous n’avons évidemment aucun commentaire à faire » a déclaré Alejandro Agag, le patron du championnat. « Pour le moment, il n’y a aucun projet de changer le calendrier de la Formule E cette saison. Non sans rappeler, à l’image de nombreux acteurs embarrassés par cette affaire, qu’ils analysaient « la situation au jour le jour » afin de prendre « éventuellement les mesures qui s’imposent ».
France 24