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ALGÉRIE : UNE CAN 2019 RÉVOLUTIONNAIRE

L’Algérie s’apprête à vivre, vendredi 19 juillet, sa première finale de Coupe d’Afrique des nations depuis 1990. Vingt-neuf ans après, le soutien à l’équipe nationale est fortement imprégné de la mobilisation populaire qui a obtenu le départ du président Bouteflika et réclame la fin du « système ». Dans ses slogans, mais aussi dans la répression qui le frappe.

À Alger, ils étaient déjà plus d’un millier de supporteurs agglutinés devant l’écran géant du stade d’athlétisme Ouaguenouni, dimanche 14 juillet, plusieurs heures avant le coup d’envoi de la demi-finale qui a opposé l’Algérie au Nigeria.

Lors des éditions précédentes de la CAN, les matchs étaient diffusés en plein centre-ville, à quelques mètres de la Grande Poste. Mais, depuis plusieurs mois, ce lieu devenu l’épicentre de la contestation est barricadé par la police et les retransmissions ont été pour la plupart délocalisées vers des enceintes fermées.

« Le peuple veut la Coupe d’Afrique »

Comme lors des matchs du championnat national, le stade redevient une agora avec des blocs de jeunes supporteurs qui entonnent « La Casa del Mouradia », et les slogans entendus lors des marches hebdomadaires. Après une rencontre haletante, l’équipe nationale de football algérienne gagne sa place en finale où elle retrouvera le Sénégal, déjà battu en phase de poule.

Voilà vingt-neuf ans que les Fennecs n’ont pas atteint ce stade de la compétition. Un signe pour certains supporters, qui y voient une continuité des victoires populaires ayant provoqué les départs successifs de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika, de l’ex-président du Conseil constitutionnel Tayeb Belaïz, ou encore de Mouad Bouchareb, ex-président de l’Assemblée populaire nationale. Après « Echaab Yourid Isqat nidham » (le peuple veut la chute du régime), on entend désormais « Echaab Yourid la Coupe d’Afrique » (le peuple veut la Coupe d’Afrique).

Sur les réseaux sociaux, les numéros 7 et 8, portés par les joueurs Riyad Mahrez, auteur du but de la victoire contre le Nigeria, et Youcef Belaïli, sont comparés aux articles 7 et 8 de la Constitution, qui stipulent que la souveraineté nationale et le pouvoir constituant appartiennent au peuple. Des modalités dont les manifestants réclament l’application depuis plusieurs mois.

Arrestations et emprisonnements

Alors qu’en Algérie, 41 manifestants ont été arrêtés pour port de drapeau amazigh, certains supporteurs algériens s’affichent dans les gradins égyptiens avec l’emblème berbère directement dessiné sur le corps. Dans les tribunes retentissent aussi des chants politiques. Tandis que le fameux « Yatnahaw gaa » (Qu’ils partent tous), trouve un écho jusqu’au pied des pyramides de Gizeh.

Pour certains supporteurs, ces revendications se paient très cher. L’un d’entre eux, Samir, 42 ans, a été interpellé avec deux de ses amis, quelques heures avant le premier match de l’Algérie, le 23 juin. Il a été expulsé d’Égypte puis détenu à la prison d’El Harrach, dans la banlieue d’Alger, pour avoir porté une pancarte sur laquelle était inscrit en arabe : « Il n’y a pas d’autre Dieu qu’Allah. Qu’ils partent tous. Un État civil et non militaire. »

Ses amis qui se trouvent encore en Égypte appréhendent de subir le même sort à leur retour. « Nous avions des affiches ramenées d’Algérie, raconte Boubakeur, quelques jours après l’expulsion de son ami. Nous étions en train de marcher. La police égyptienne nous a arrêtés, c’était comme un enlèvement. Après quelques kilomètres, ils m’ont relâché avec le second supporteur et ils nous ont dit de ne pas créer de problèmes. Ils ont emmené Samir avec eux. Le souci maintenant, c’est que la police algérienne l’a transféré directement de l’aéroport vers la prison d’El Harrach. »

Depuis, ce dernier a été condamné à un an de prison ferme et une amende de 50 000 dinars (370 € au taux officiel) pour « exposition aux regards du public de tracts de nature à nuire à l’intérêt public ». « Nous avons parlé avec la Fédération, qui nous a promis de nous aider. Ce qui se passe n’est pas logique. Personne n’arrive à y croire. Sa famille est très inquiète et nous aussi nous sommes effrayés et stressés à l’idée de rentrer au pays », explique désormais Boubakeur.

Récupération politique

En plus des 3 000 supporteurs qui sont déjà en Égypte, les autorités algériennes ont programmé 28 vols, dont neuf assurés par des avions militaires, qui partiront de plusieurs villes du nord et du sud du pays vers Le Caire avec à leur bord 4 800 supporteurs supplémentaires.

Des mesures jugées démagogiques et populistes par une partie de la population. D’autant plus qu’elles rappellent des pratiques héritées de l’ère Bouteflika, lorsque le gouvernement avait orchestré le départ de 15 000 aficionados algériens vers Oum Dormane, au Soudan, en novembre 2009. « C’était quelques mois après les élections pour le troisième mandat, qui était déjà un peu contesté, se souvient Mehdi Dahak, directeur de publication du site algérien Dzfoot. Il y avait une volonté de contenter la population. On peut penser que le pouvoir essaie de répéter le même scénario dans un contexte où il y a une forte contestation. »

« Il y a dix ans, des personnes venaient à l’aéroport et remplissaient les avions sans formalités. Cette fois, ce n’est pas complètement gratuit. Aujourd’hui, il y a une agence et la plupart des personnes paient 35 000 dinars en plus du visa. C’est différent, mais l’idée est toujours d’avoir le maximum de monde. Il y a quand même une volonté politique de récupérer l’événement », estime Mehdi Dahak.

À ce sujet, la population n’est pas dupe. Dès le début de la compétition, les manifestants ont mis à jour leurs slogans et chantaient, vendredi 12 juillet : « Dîtes leur que nous gagnerons la liberté quoi qu’il se passe. Dîtes leur qu’ils ne nous auront pas avec le ballon. Nous sortirons tous les vendredis, nous ne nous arrêterons pas. » Hasard, destin ou simple coïncidence ? La finale de la Coupe d’Afrique se jouera un vendredi, le 22e de mobilisation consécutif.

Jeune Afrique

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