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CLIMAT : LE GAZ NATUREL LIQUEFIE AMERICAIN, APPELE A LA RESCOUSSE POUR REMPLACER LE GAZ RUSSE, POSE PROBLEME

L’Union européenne ambitionne de réduire ses émissions de CO2 de 55% et celles de méthane de 30% d’ici à 2030. Des objectifs peu compatibles avec le recours à une énergie fossile telle que le gaz naturel liquéfié.

Privée du gaz russe, l’Union européenne s’est engagée à diminuer sa consommation de 15%. Mais pour éviter le risque de pénurie cet hiver, elle doit aussi faire son shopping énergétique dans d’autres pays. A la place du gaz naturel acheminé depuis les gisements de Sibérie ou de la mer de Barents, les Vingt-Sept se jettent notamment sur le très convoité gaz naturel liquéfié (GNL) américain, transporté par bateaux de part et d’autre de l’Atlantique.

En France, où le GNL ne représentait en 2020 que 5,5% des importations de gaz, on se prépare à recevoir ces nouveaux approvisionnements : le projet de loi sur le pouvoir d’achat a ainsi validé, vendredi 22 juillet, l’installation dès l’automne d’un terminal méthanier flottant dans le port du Havre, pour réceptionner ce précieux carburant. Mais cette énergie de substitution au gaz russe suscite la polémique et inquiète les écologistes et les défenseurs de l’environnement. France info vous explique pourquoi.

Parce que son transport émet du CO2

« Remplacer le gaz naturel russe acheminé par gazoduc par du gaz naturel liquéfié qui arrive par bateaux n’est pas sans conséquence en termes de bilan carbone », explique Philippe Bousquet, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE). Comparé à son alter ego russe, le gaz américain nécessite en effet des procédés et une logistique « près de deux fois plus énergivores et ainsi plus de deux fois plus émissifs que le transport par gazoduc », estime une étude du cabinet Carbone 4.

Ce bilan carbone vient donc en partie contrebalancer les qualités attribuées à cette énergie fossile à laquelle est attribuée une réduction de 20 à 30% des rejets de CO2 par rapport au pétrole ou au charbon. « Pour le climat, l’utilisation de ce GNL ne nous place pas sur la bonne trajectoire si on considère nos objectifs de limiter les émissions de gaz à effet de serre à court et moyen terme, que ce soit du CO2 ou du méthane », explique le climatologue.

Parce qu’il s’agit surtout de gaz de schiste

Le procédé d’extraction du gaz choisi par l’exportateur est aussi déterminant dans ce bilan carbone. Aux Etats-Unis, 79% de la production provient du gaz de schiste, selon l’administration en charge de l’énergie (en anglais). « L’extraction du gaz de schiste génère entre 1,5 et 4 fois plus d’émissions de gaz à effet de serre que l’extraction du gaz conventionnel », alerte ainsi Alexandre Joly, responsable du pôle énergie de Carbone 4, sur le site Connaissancedesénergies.org. Selon lui, « en intégrant les émissions de combustion, la fourchette haute de l’empreinte carbone du GNL américain équivaut à 85% des émissions du charbon pour une même quantité d’énergie consommée ».

En commission préalable aux discussions sur le projet de loi sur le pouvoir d’achat, la députée écologiste Delphine Batho s’alarmait d’ailleurs :

« La France a interdit la fracturation hydraulique ainsi que la recherche et l’exploitation de gaz de schiste sur son sol. Nous ne pouvons donc pas nous faire les complices de l’exploitation des énergies fossiles les plus sales à l’international. »

En effet, la France ne pourra pas se montrer sélective. Sollicité par France info, le Ministère de la Transition énergétique confirmait le 23 juillet qu’il serait impossible de s’assurer que la France n’importe pas de gaz de schiste.

Après avoir signé en 2021 un accord avec la société texane Chenière, qui produit du gaz naturel liquéfié acheminé depuis un terminal situé près de Houston, et débarqué dans le terminal français de Montoir-de-Bretagne (Loire-Atlantique), Engie reconnaissait déjà, dans un article du Monde, que ce gaz pouvait « contenir une part non précisée de gaz non conventionnel ».

Parce que son extraction rejette du méthane

La fracturation hydraulique pour extraire le gaz de schiste de la roche constitue également un procédé plus propice aux fuites de méthane, d’après l’étude du cabinet Carbone 4. Or les émissions de méthane « contribuent presque à un tiers dans le réchauffement climatique », explique Philippe Bousquet. Selon le climatologue, les fuites de méthane causées par l’industrie des énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz confondues) représentent environ 15% des émissions de méthane.

Recourir à une énergie fossile en guise de solution d’urgence à la crise énergétique constitue une occasion manquée pour les pouvoirs publics de s’attaquer à la réduction des émissions de méthane. D’autant plus qu’en novembre, pour la première fois, une centaine de pays – dont ceux de l’Union européenne et les Etats-Unis – se sont engagés à baisser de 30% les émissions de méthane d’ici à 2030, par rapport à 2020.

Dans les faits, c’est l’inverse qui se produit, avec une tendance à la hausse de la quantité de méthane dans l’atmosphère, et ce depuis une quinzaine d’années, d’après Philippe Bousquet, dont une partie peut être attribuée aux secteurs des énergies fossiles.

Parce que la demande nuit à l’environnement

En mars, Joe Biden s’est engagé à fournir à l’Europe 15 millions de m3 de gaz naturel liquéfié. Selon des données analysées par l’agence Reuters, les Etats-Unis sont d’ores et déjà sur la voie de pouvoir en exporter trois fois plus. Pendant les six premiers mois de l’année, les Etats-Unis ont exporté 57 milliards de m2 de GNL, dont 39 rien que pour l’Europe – contre 34 en 2021. Une hausse qui, aux Etats-Unis s’accompagne d' »un boom des installations ».

Rien qu’en Louisiane, « 12 nouveaux terminaux géants, chacun de la taille d’une petite ville » sont à l’étude, selon le cartographe américain Justin Kray, co-auteur d’une étude sur les impacts locaux de cette activité. Or, les Etats du golfe du Mexique, d’où part le gaz naturel liquéfié à destination de l’Europe, sont fortement exposés aux ouragans et aux risques d’inondations, a-t-il expliqué à l’occasion d’une présentation à la presse de cette étude, encore en attente de relecture par des pairs.

Et Justin Kray de pointer le souci des autorités locales de tirer profit de cette demande exceptionnelle de gaz au détriment de la prévention des risques, de l’impact sur la biodiversité et sur la santé des populations. Le chercheur estime donc « sage de mettre en garde les potentiels acheteurs du gaz de Louisiane ». Avant de noter l’ironie de voir une industrie « menacée par des tempêtes et des inondations qu’elle contribue à créer à travers les émissions à effets de serre qu’elle cause ».

Marie-Adélaïde Scigacz

France Télévisions

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