À présent que la Coupe du monde 2018 est terminée, tous les yeux vont se braquer vers le Qatar, pays désigné en 2010 par la FIFA pour organiser l’édition 2022. Ce choix contesté continue de poser problème, entre autres pour des raisons logistiques et humanitaires. Les récentes tensions avec les États voisins et le possible passage de 32 à 48 équipes dès 2022 compliquent encore un peu plus les choses.
Dire que la planète football attend déjà 2022 et sa Coupe du monde au Qatar avec impatience et excitation serait un brin exagéré. C’est même plutôt en traînant les crampons et les pieds qu’un grand nombre d’acteurs et de spectateurs du foot se dirigeront à la fin de l’automne 2022 vers ce minuscule appendice désertique, pas plus grand que la région Ile-de-France et à peine plus peuplé que Paris intramuros (2,5 M d’habitants), de très loin le plus petit pays à accueillir l’épreuve quadriennale mais aussi le plus riche (124 927 dollars de PIB annuel par habitant, le plus élevé au monde par tête selon le FMI). Car c’est bien l’argent et pas autre chose qui a convaincu les responsables de la Fédération Internationale de football (FIFA) d’accorder le Mondial 2022 au Qatar, une Coupe du monde dont le budget total a été évalué à 200 milliards de dollars si l’on prend en compte toutes les infrastructures et les à-côtés (stades, métro, routes, complexes immobiliers, sécurité etc., sans parler du lobbying).
Impact sur les calendriers
Le principal problème posé par cette Coupe du monde, la chaleur (proche de 50 degrés en juin-juillet, date habituelle des Coupes du monde), a été définitivement réglé le 19 mars 2015 par le Comité exécutif de la FIFA qui a jugé plus raisonnable de décaler la compétition aux mois de novembre et décembre (début le 21 novembre, finale le 18 décembre 2022) période à laquelle les jours ne sont longs que de 10 heures et demie et où le mercure oscille entre 25 et 30 degrés au maximum. Ce tour de passe-passe a causé une déflagration, surtout en Europe, où les compétitions (championnats nationaux et compétitions continentales) vont devoir ajuster leurs calendriers. Si l’on tient compte qu’une semaine de répit puis au minimum deux ou trois semaines de préparation seront nécessaires aux joueurs, les compétitions continentales devront s’arrêter vers la fin octobre pour ne reprendre que la deuxième quinzaine de décembre.
Ce décalage aura donc un impact sur la saison 2021-2022 qui devra commencer plus tôt et finir plus tard, ce qui raccourcira forcément la trêve estivale des saisons 2020-2021 et sans doute 2022-2023 et obligera aussi les pays qui observent traditionnellement une mini-trêve hivernale, comme la France, à la supprimer temporairement. « Il faut regarder le problème à l’aune des relations sans arrêt tendues entre la FIFA d’un côté et l’UEFA de l’autre » observe Dominique Courdier, ancien rédacteur en chef à France Football et directeur de l’information à l’agence d’information numérique News Tank. « La FIFA organise sa Coupe du monde. Que cela embête l’UEFA, poursuit-il, c’est le cadet de ses soucis. Une fois que le principe d’une Coupe du monde en hiver est acté, ils ne peuvent pas aller contre ».
Ce casse-tête calendaire s’est encore un peu plus accru ces derniers temps avec la décision de la FIFA de faire passer le nombre de participants à la Coupe du monde de 32 à 48 équipes. Normalement, cette surenchère ne devait intervenir que pour l’édition 2026 (Canada, Mexique, États-Unis) mais Gianni Infantino, l’actuel président de la FIFA, pousse pour qu’elle soit effective dès 2022, un désir qui n’est pas innocent : la prochaine élection à la présidence de la Fédération Internationale a lieu en juin 2019 et Infantino aimerait bien s’assurer le maximum de voix provenant des continents qui vont le plus bénéficier du passage à 48, c’est à dire l’Afrique et l’Asie dont le contingent va doubler. La question devait être réglée au congrès annuel de la FIFA qui s’est tenu le 13 juin à Moscou mais elle a été retirée de l’ordre du jour au dernier moment « pour continuer de discuter avec le Qatar ».
Tensions régionales
Même si ce passage à 48 équipes ne devrait guère allonger la durée de l’épreuve de plus de deux jours – car on passerait d’une première phase avec 16 groupes de trois équipes puis à des matchs à élimination directe à partir des 1/16e de finale – elle risque d’obliger le Qatar à se délester de quelques matches du 1er tour au profit d’un pays associé, par manque de stades. Et cela pose à l’heure actuelle un gros problème car le Qatar été mis au ban par ses principaux voisins depuis un an : l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et Bahreïn pour ne citer que les plus proches. Seuls alliés régionaux à pouvoir apparemment être en mesure de leur venir en aide ponctuellement : Oman, le Koweït et … l’Iran, ce qui ne ferait qu’accroître les tensions dans cette région explosive. Pour l’instant, c’est le statu quo mais la FIFA a promis que la question serait réglée au plus tard en janvier 2019.
Reste que le Qatar est désormais un pays isolé dans cette partie du monde où, par exemple, les vols de Qatar Airways sont obligés d’allonger leur durée pour ne pas avoir à survoler les espaces aériens saoudiens et émiratis, suite aux interdictions décrétées par ces pays qui soupçonnent Doha d’aider les groupes terroristes et d’être trop lié aux Frères musulmans. L’État gazier fait l’objet d’un embargo depuis un an de la part de ses voisins, blocus qu’il a toutefois réussi à contourner en faisant appel à d’autres fournisseurs (Chine, Malaise) mais qui lui a quand même fait perdre de l’argent et un peu retardé, du moins au départ, les préparatifs de sa Coupe du monde. Qu’importe, les travaux continuent à présent au pas de charge à raison de 500 millions de dollars dépensés chaque semaine comme l’a révélé récemment Hassan Al-Thawadi, le président du Comité d’organisation. Trois des huit stades prévus pour accueillir l’épreuve seront ainsi terminés, d’après Al-Thawadi, à la fin de l’année.
Ce rythme effréné n’est pas sans conséquence pour les ouvriers qui travaillent sur ces chantiers gigantesques, des travailleurs immigrés (Népalais, Indiens, Pakistanais, Philippins, Bengalis) utilisés, dans les cas les plus extrêmes, comme des esclaves et dont le mauvais traitement a été maintes fois signalé et condamné par les ONG. Amnesty International a par exemple rendu il y a deux ans un rapport de 80 pages révélant que des centaines d’ouvriers ont travaillé 148 jours d’affilée sans un seul jour de congé, des journées parfois de 14 heures dans des conditions extrêmement difficiles. Plusieurs centaines d’entre eux ont déjà trouvé la mort, peut-être même plus de 2 000, les chiffres étant très difficiles à obtenir de la part des autorités qatariennes pour d’évidentes raisons d’image.
Un jeu de meilleure qualité ?
Cette image du pays, tellement importante aux yeux de ses dirigeants qui ont depuis une vingtaine d’années choisi le sport pour exercer leur « soft power » (comprenez leur influence) avait déjà été passablement écornée par le processus d’attribution de la Coupe du monde lui-même. Des soupçons de corruption à très haute échelle ont été formulés et la justice suisse continue d’ailleurs d’enquêter sur les conditions dans lesquelles la Coupe du monde 2022 a été offerte au Qatar. Même s’il en fut vaguement question il y a cinq-six ans, il semble maintenant totalement impossible que le Qatar se voie retirer l’organisation de l’épreuve. Cela serait en effet considéré comme un camouflet par l’ensemble du monde arabe (aucune Coupe du monde n’a jamais été organisée dans cette partie du globe) et, de toute façon, la FIFA n’a pas de plan B pour organiser son Mondial ailleurs.
Malgré tous ces désagréments et tous ces soupçons, Dominique Courdier, notre spécialiste de l’agence News Tank, se montre plutôt optimiste. Même s’il y a peu de chances que des masses de touristes occidentaux se ruent forcément dans les stades, d’autant que la consommation d’alcool risque d’être limitée à Doha et alentour (une donnée à prendre aussi en compte), il estime que le jeu va bénéficier de ce Mondial en plein hiver. « Je suis convaincu qu’on va se dire : c’est une Coupe du monde géniale ! », assure-t-il. « À ce moment-là de l’année, poursuit-il, on va avoir des matchs géniaux parce qu’on ne sera pas en fin de saison, parce que les joueurs n’auront pas 65 matchs dans les pattes. Au niveau santé et forme des joueurs, ça ne va pas être une Coupe du monde de fatigués comme on a eu cette année en Russie et comme c’est régulièrement le cas. »
Et pour ce qui est du chamboulement des calendriers, Dominique Courdier n’est pas inquiet non plus. « Cela imposera effectivement des changements sur les saisons 2021-2022 et 2022-2023 mais on s’apercevra que ça n’est pas si dramatique que ça » juge-t-il. « Habituellement, la Coupe du monde, rappelle-t-il, c’est 15 mai – 15 juillet donc deux mois, en comptant les jours de repos et les stages de préparation. Mais au bout de deux semaines, la moitié de équipes ont déjà disparu et les joueurs sont rentrés chez eux. En décembre 2022, arrivé à la dernière semaine, il ne restera plus que quatre équipes, donc même pas une centaine de joueurs absents de leurs clubs respectifs. Je ne pense pas que cela posera un si gros problème que cela ». Dernier argument pour Dominique Courdier : cela créera un précédent. « Ça peut être une idée pour plus tard, lorsque se posera la question de redisputer une Coupe du monde dans l’hémisphère Sud ». Une idée qui risque d’être entendue favorablement du côté de l’Australie, de la Nouvelle Zélande et de l’Amérique du Sud, des régions qui rêvent aussi d’accueillir à leur tour, ou à nouveau, la plus grande compétition planétaire.