Attaquée depuis deux mois par une milice pro-iranienne, l’armée américaine a fini par bombarder ses positions pour rétablir sa dissuasion face à Téhéran.
La guerre contre l’organisation État islamique achevée, un autre conflit sanglant est en train de voir le jour en Irak. Dimanche, les États-Unis ont bombardé cinq installations militaires – trois dans l’ouest de l’Irak et deux dans l’est de la Syrie – appartenant à Kataeb Hezbollah (les Brigades du Hezbollah). Situées à proximité d’al-Qaïm, localité irakienne frontalière de la Syrie, ces raids aériens ont fait au moins 25 morts parmi les combattants du Hezbollah. C’est la première fois que l’armée américaine s’en prend à cette milice chiite qui, après avoir lutté contre l’occupation américaine dans les années 2000, a ensuite combattu le même ennemi que Washington : Dach.
Membre des « unités de la mobilisation populaire » (Hachd al-Chaabi), créées en 2014 pour lutter contre l’organisation État islamique, Kataeb Hezbollah (les Brigades du parti de Dieu, distincte du mouvement libanais Hezbollah, NDLR) est liée à la République islamique d’Iran, qui leur fournit armes, entraînement et argent. Avec l’aide de la force al-Qods (la branche extérieure des Gardiens de la révolution iraniens, NDLR), elles ont amplement participé à la lutte contre les djihadistes, au même titre que l’armée irakienne mais aussi la coalition internationale dirigée par les États-Unis.
Alliés objectifs
À l’époque, Téhéran et Washington se retrouvent en position d’alliés objectifs sur le terrain contre la menace représentée par l’extrémisme sunnite. À la proclamation de la victoire contre l’État islamique en décembre 2017, la milice chiite est intégrée à l’armée irakienne et demeure, en principe, sous l’autorité du Premier ministre. Mais elle ne coupe pas pour autant ses liens avec Téhéran, qui conserve son emprise sur le mouvement créé en 2003.
Or, entre-temps, la donne géopolitique est bouleversée entre les États-Unis et l’Iran. En mai 2018, Donald Trump se retire unilatéralement de l’accord sur le nucléaire iranien et prononce contre Téhéran les « pires sanctions de l’Histoire » : une « pression maximale » visant à contraindre l’Iran à accepter un accord à ses propres conditions. Désormais, les deux pays sont à couteaux tirés.
Signe de faiblesse américaine
Après avoir tout d’abord temporisé pendant près d’un an, le temps de constater l’échec de l’Europe à trouver une issue à la crise du nucléaire iranien, Téhéran finit par montrer les crocs. Directement ou par le biais de groupes qui lui sont inféodés au Moyen-Orient, la République islamique est fortement soupçonnée d’être derrière plusieurs attaques contre les alliés des États-Unis dans le Golfe depuis mai 2019 (attaques contre des tankers saoudiens et émiriens) sans pour autant provoquer de riposte américaine. « La situation dans la région est due à la politique américaine de pression maximale qui augmente sensiblement les tensions directes et indirectes entre l’Iran et les États-Unis », affirme au Point Hamzeh Safavi, professeur de sciences politiques et membre du Conseil scientifique de l’université de Téhéran.
Symbole du refus de Donald Trump de s’engager dans toute action militaire – une promesse de campagne –, le président américain va jusqu’à renoncer à la dernière minute à des frappes punitives après que les Gardiens de la révolution iraniens ont abattu un drône américain le 20 juin 2019.
À Téhéran, cette retenue américaine est interprétée comme un signe de faiblesse. Le 14 septembre, c’est le cœur du complexe pétrolier saoudien, à Abqaïq, qui est frappé. Là encore plane l’ombre de la République islamique.
Victime américaine
Jusqu’ici, l’Iran se garde bien de prendre – directement ou indirectement – pour cible des cibles américaines dans la région, ce qui provoquerait « une réponse ferme américaine », selon les mots du secrétaire d’État Mike Pompeo. Or, depuis le 28 octobre dernier, la République islamique et ses alliés semblent être passés à la vitesse supérieure. En moins de deux mois, onze attaques non revendiquées ont ciblé des bases abritant des soldats et des diplomates américains en Irak, impliquant d’après Washington les Brigades du Hezbollah, et qui seraient donc liées à Téhéran.
Si les dix premières frappes ne font pas de victimes parmi le personnel américain (un militaire irakien est néanmoins décédé, NDLR), la dernière en date a marqué un tournant : vendredi soir, un barrage de trente-six roquettes tirées contre une base irakienne à Kirkouk, dans le nord du pays, a pour la première fois tué un civil américain et blessé quatre GI. « Ce que nous avons fait est de répondre de façon décisive pour clarifier ce que le président Trump répète depuis des mois », a expliqué dimanche le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo. « Nous n’accepterons pas que la République islamique d’Iran entreprenne des actions qui mettent en danger la vie d’hommes et de femmes américains. »
Guerre d’usure
À Washington, l’objectif recherché semble être pour l’heure atteint : rétablir la dissuasion – entamée – des États-Unis face à l’Iran. « Nous mènerons des actions supplémentaires si nécessaire afin d’agir pour notre auto-défense et pour dissuader des milices ou l’Iran », a ainsi averti dimanche le secrétaire américain à la Défense, Mark Esper.
Toutefois, à Bagdad, Abou Mahdi al-Mohandes, le dirigeant des Brigades du Hezbollah, a promis que « le sang des martyrs n’aura pas [coulé] en vain est que [leur] réponse sera très dure pour les forces américaines en Irak ». Même son de cloche à Téhéran, où le ministère iranien des Affaires étrangères a estimé que « l’Amérique doit assumer les conséquences de son acte illégal ».
Pourtant, pour l’heure, l’Iran et ses forces en Irak semblent avoir réagi à minima. Quelques heures à peine après le raid aérien américain contre le Hezbollah irakien, quatre roquettes ont atterri à proximité d’une base près de Bagdad, où se trouvaient des soldats américains, sans pour autant faire de victimes. Si le risque d’une confrontation directe entre Iran et États-Unis ne semble pas pour demain, celui d’une guerre d’usure larvée en Irak paraît déjà d’actualité.
Par Armin Arefi Publié le 30/12/2019 à 17:49 | Le Point.fr