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ESSY AMARA : «MA RENCONTRE AVEC FODAY SANKOH DANS LA JUNGLE SIERRA-LEONAISE RELÈVE D’UNE SCÈNE SURRÉALISTE»

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Le président sierra-léonais Julius Maada Bio a effectué une visite officielle de 48 heures en Côte d’Ivoire du vendredi 04 au 05 Avril 2018.

A l’occasion de cette visite et après sa prestations de serment à laquelle avait assisté le vice-président SEM Kablan Duncan nous avions publié une première interview accordée à notre confrère Nomel Essis du quotidien l’Expression, le ministre Essy Amara, ex ministre des Affaires étrangères de la Côte ’Ivoire, ex secrétaire général de l’OUA et ex président de l’Assemblé général de l’ONU

Dans cette interview le ministre Essy Amara avait mis en évidence le fait que le nouveau président sierra-léonais avait délibérément remis le pouvoir aux civils après l’avoir conquis par un coup d’Etat

Dans ce présent article qui est la suite de l’interview précédente ministre Essy Amara revient sur les négociations entre les rebelles sierra-léonais du RUF conduit alors par Foday Sankoh qui ont entamé la sortie de crise dans ce pays

Rappelons que cette guerre civile, l’une des plus atroces d’Afrique, a provoqué la mort de milliers de personnes, fait des milliers de mutilés et provoqué un déplacement massif des populations de ce pays vers les pays voisins notamment en Guinée

Excellence pouvez –vous revenir sur les différentes étapes qui ont émaillé les négociations inter sierra –léonaises qui se sont déroulés ici dans notre pays ?

Maada Bio a fait un coup d’Etat à l’époque contre Valentine Strasser pour lutter contre la politique tracée par les précédents présidents. Cette politique consistait à sous louer la lutte contre la rébellion à une société privée britannique appelée « Executive outcom » qui avait créé une milice composée d’anciens soldats sud-africains. La milice en question avait un équipement sophistiqué et était chargée de régler les situations critiques en Afrique.

Executive outcom avait créé une base en Sierra Leone pour combattre la rébellion de Foday Sankoh. Après le putsch opéré par Strasser, au cours d’un Conseil du Haut Commandement Militaire, Maada Bio a soutenu qu’il fallait négocier avec la rébellion pour trouver une solution. Mais, ses frères d’armes n’étaient pas d’accord avec cette position parce qu’à travers l’attribution de la lutte contre le RUF de Foday Sankoh à une milice, les militaires recevaient d’importants revenus financiers. Maada Bio tenait absolument à la négociation avec la rébellion rejetée par les membres de la junte militaire. Devant l’entêtement de ses frères d’arme, il a fini par fomenter un coup d’Etat contre Valentine Strasser. Une semaine après son coup de force, il est allé voir le président ghanéen, John Rawlings pour lui suggérer la négociation avec Foday Sankoh. Rawlings lui a donné raison et lui a conseillé de s’adresser à la Côte d’Ivoire qui avait un appareil diplomatique très rodé dans les négociations.

Je reçois un appel de Maada Bio

Monsieur le ministre, pourquoi ce choix de la Côte d’Ivoire qui n’entretenait pas de liens particuliers avec la Sierra Leone ?

Tout simplement parce que la Côte d’Ivoire était le pilier des négociations au Libéria. On a eu quatre accords de sortie de crise sur ce pays à Yamoussoukro. Quelques jours après, je reçois un appel de Freetown m’informant que Maada Bio veut rendre une visite de courtoisie au président Bédié. J’étais surpris parce qu’on n’avait aucune relation avec la Sierra leone. Pour être sûr, j’ai cherché à avoir l’état de nos relations au plan commercial, économique et humain avec ce pays. La seule chose que j’ai trouvée, c’est qu’un Ivoirien à l’époque, directeur de Premoto, avait épousé une Sierra léonaise avec qui il avait étudié dans une université américaine.

Maada Bio veut négocier avec Foday Sankoh

Le président fut surpris quand je l’ai informé de la visite de Maada Bio. Je lui ai dit que nous n’avions pas de relations avec la Sierra leone mais qu’il devait quand même l’écouter.

Lors de sa rencontre avec le président Bédié, Maada Bio a réaffirmé sa volonté de négocier avec Foday Sankoh car la guerre civile dans son pays ne pouvait être résolue par la guerre. Et que c’est sur les conseils de ses pairs de la CEDEAO qu’il s’est confié à Bédié afin d’entamer les négociations avec la rébellion. Il a demandé que la Côte d’Ivoire fasse tout afin qu’il rencontre Foday Sankoh pour entamer les négociations.

3H après, nous l’avons raccompagné à l’aéroport avec la promesse de faire notre mieux pour une solution négociée. Après une semaine de recherche, j’ai pu localiser Foday Sankoh à qui j’ai soumis la proposition de négociations de Maada Bio. Je lui ai demandé de venir en Côte d’Ivoire afin de rencontrer le président sierra léonais à une date fixée de commun accord.

« Ils vont me tuer si je sors de ma cachette »

Il m’a répondu qu’on allait le tuer s’il sortait de sa cachette, tellement on l’avait diabolisé. Il a cité l’exemple du rebelle katangais, Moise Tschombé qui a été tué et du leader du Front de libération nationale (FNL), Ahmed Ben Bella capturé par l’aviation française pendant la guerre d’Algérie. Je lui ai donné des garanties en prenant l’engagement d’avoir l’accord du Secrétaire Général de l’Organisation de l’Unité Africaine(OUA), le Tanzanien Salim Ahmed Salim, et du Secrétaire de l’Organisation des Nations Unies, l’Egyptien Boutros Boutros Ghali qui vont m’envoyer des représentants : « avec ces garanties, personne ne peut te tuer » lui ai-je promis

Malgré tout, il était réticent. Je lui ai dit que s’il continuait de se battre dans la jungle, il ne pourrait pas réaliser ses ambitions nobles d’électrifier le pays et de construire des écoles. Devant sa réticence, je lui ai répondu qu’on prend toujours des risques quand on a des ambitions pour son pays. J’ai enfoncé le clou en lui disant qu’on n’était pas responsable si on ne prenait pas de risques.

« Prenez des garanties pour ma sécurité »

J’ai même ajouté qu’aux Etats-Unis d’Amérique, le pays le plus développé du monde, le président John Kennedy a été tué malgré les mesures de sécurité. Convaincu par mes arguments, il m’a dit de prendre des garanties pour sa sécurité.

Lorsque j’appelle Salim et Boutros Ghali pour avoir leurs représentants afin d’aller chercher Foday Sankoh, ils m’ont promis d’étudier la question. Je rappelle que ce dernier a fait plein d’exercices pour brouiller les pistes. Il était très méfiant et changeait de zones après chaque appel par satellite pour ne pas être repéré. Il savait que les Sud-africains étaient très équipés et qu’ils pouvaient le repérer à tout moment. Pour me joindre, il me donnait une heure précise pour un appel dans deux jours. La veille de mon rendez-vous téléphonique avec Foday Sankoh, je n’avais pas encore reçu de retour de mes appels avec Boutros Ghali et Salim

L’ONU et l’OUA refusent de dépêcher des représentants

Lorsque je rappelle Boutros Ghali pour lui signifier mon rendez-vous avec Foday Sankoh dans deux jours, il me répond que le responsable de la direction des questions de conflit et de paix a estimé qu’il y a 70% de risque pour aller chercher Foday Sankoh alors que les standards onusiens sont plafonnées à 2% de risque.

Boutros Ghali

Ils ont décidé qu’à l’unanimité, les Nations unies ne pouvaient dépêcher un fonctionnaire pour aller chercher le chef rebelle. J’ai été refroidi par cette réponse car j’espérais que les Nations unies allaient accepter de prendre le risque.

Même réponse du côté de l’OUA. Selon son secrétaire général Salim Ahmed Salim, il fallait une couverture d’assurance de 300.000 dollars pour envoyer un fonctionnaire et que l’Organisation n’avait pas les moyens pour cela Et d’ajouter que l’OUA avait les mêmes standards de sécurité que l’Onu et que 70% de risque n’étaient pas à leur portée. J’étais embarrassé car je ne m’attendais pas à ce scénario. Mon dilemme, je ne pouvais pas appeler Sankoh pour lui dire que l’ONU et l’OUA ne pouvaient déléguer des représentants pour aller le chercher. Il m’aurait rappelé qu’on le tuerait s’il sortait et que toutes ces organisations étaient de mèche avec la CIA et les Sud-africains et qu’Il ne pourrait plus sortir de sa cachette dans ces conditions.

Salim Ahmed Salim

Je joins donc Foday Sankoh pour lui dire qu’à cause de la complexité du fonctionnement de l’ONU et de l’OUA, on ne pouvait pas trouver des réponses positives de ces deux organisations dans un bref délai.

« Tu constitues une garantie pour moi. »

Il me rétorque pour me dire que pour avoir été président du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale de l’ONU, je constituais une sécurité pour lui et qu’il sortirait de sa cachette si je venais le chercher. Je ne m’attendais pas à une telle réponse bien que je l’ais encouragé à la négociation pour le bien de la Sierra leone et la paix dans la sous-région.

Dès que je raccroche, je joins le CICR qui convoyait des vivres dans cette zone de conflit, de m’aider à aller chercher notre homme. Cette agence humanitaire me répond 2 heures après pour me dire que Kalahoun, la zone où se trouvait le chef rebelle était située dans une véritable jungle. Pour s’y rendre, il fallait un hélicoptère à deux réservoirs pour effectuer l’aller-retour.

Il fallait aller de Freetown le chercher dans sa zone pour ensuite le déposer à Siguiri en Guinée, qui est la sous-préfecture la plus proche de la Sierra-Leone. De là, l’amener à Abidjan sans transiter par Freetown où il n’accepterait jamais de mettre les pieds.

Selon le CICR, le seul hélicoptère à deux réservoirs du continent africain, se trouvait en Erythrée. Mais, en fin de compte, j’ai pu obtenir l’engin.

3 heures de marche dans la jungle

Pour rencontrer Foday Sankoh, il m’a décrit un parcours digne d’un roman policier. A cause d’une fuite dans les réservoirs qu’il a fallu réparer, nous avions pris du retard sur l’heure du rendez-vous. Ce qui a bouleversé tout le programme établi. Pour cela, il n’a pas répondu à mes appels sur la fréquence déterminée, soupçonnant sûrement un piège qu’on lui tendait. J’ai insisté pour lui dire qu’on retournerait s’il ne donnait pas suite à mon appel.

Je lui ai expliqué la panne survenue qui nous a mis en retard. Il a fini par me rappeler pour me dire qu’il a changé de stratégie par ce que ne me voyant pas. Il a fini par nous indiquer une clairière où un de ses hommes nous attendait avec un drapeau. L’endroit était si restreint que les palettes de l’hélicoptère allaient toucher les arbres à l’atterrissage. Ce fut une opération kamikaze. On a marché pendant 3 heures dans la forêt où on ne voyait pas la lumière du jour. J’ai glissé sur une colline et j’ai eu une déchirure des ligaments du genou dont je sens les séquelles actuellement. J’ai fini par rencontrer Foday Sankoh dans une clairière.

Une scène surréaliste.

C’était une scène surréaliste. En moins de 5 minutes, on a vu apparaitre près de 1000 personnes qui étaient perchées dans les arbres. Foday Sankoh est arrivé comme un dieu parmi des gens habillés avec plein de gris-gris et réputés être des sanguinaires.

Me retrouver seul avec un homme blanc (l’envoyé du CICR) dans une telle situation était surréaliste. Le chef rebelle me présente avec l’objet de ma visite et consulte son comité de guerre de dix membres pour avoir son aval. Après conciliabule, ceux-ci reviennent pour dire qu’ils sont cinq pour et cinq contre son départ, laissant le soin à Foday Sankoh de décider lui-même comme il a une voix prépondérante. Selon les prédictions du « jujuman », le féticheur de la tribu qui a consulté ses gris-gris, Sankoh ne reviendrait plus au bercail s’il partait en Côte d’Ivoire. Il se retourne vers moi pour me faire part du verdict des oracles qui lui interdisent de quitter sa base. Je lui ai répondu que j’avais pris un risque en venant dans sa base et qu’il devait en faire autant pour avoir la paix. J’ai ajouté qu’il Il n’y avait jamais d’opération à 100% de réussite et qu’on ne faisait pas la paix sans prendre de risque ; un serpent aurait pu me mordre, ai-je ajouté.

«Je pars avec vous.»

Après avoir marché tout seul pendant 3 minutes dans un silence total, il me revient pour dire qu’il embarquait avec moi. Je me suis rendu compte qu’on avait tourné en rond pendant 3 h dans la forêt parce qu’il était persuadé que j’étais suivi par des espions pour le repérer.

Sur le chemin du retour, on a retrouvé l’hélicoptère à peine en une demi-heure de marche. On est arrivé à Siguiri où nous avons embarqué dans deux petits avions de dix places chacun pour Abidjan. Trois jours après, j’appelle Julius Maada Bio pour lui dire que Foday Sankoh est à Abidjan. Ça a été une opération presqu’inédite parce que cela n’a pas été facile.

Foday Sankoh est très courageux

Par la suite, tout le processus a été très long et très complexe.

Je retiens que Foday Sankoh est très courageux, car il a pris des risques. Il savait qu’en tant que militaire, la configuration du champ de bataille faisait qu’il ne pouvait pas avoir de vainqueur dans cette guerre.

Propos recueillis par Nomel Essis du quotidien l’Expression

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