L’ancien dictateur tchadien est décédé ce mardi 24 août à Dakar. Il était hospitalisé suite à une contamination au Covid-19. Il purgeait une peine de prison à vie pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Du citoyen tchadien qui a connu son régime à ses anciens lieutenants, la mort d’Hissène Habré ne laisse pas indifférent. Témoignages.
Les proches de victimes espèrent recevoir les indemnisations
Hissène Habré était censé verser 20 millions de CFA à chacune des 8600 victimes constituées parties civiles. Or, ces sommes n’ont jamais été versées aux plaignants. Pour Clément Aibaifouta, président de l’Association des victimes des crimes du régime d’Hissène Habré, la mort de l’ex-président tchadien doit permettre aux instances judiciaires d’accélérer le processus d’indemnisation.
Ca devrait inciter les autorités judiciaires sénégalaises à faire la saisie des biens de Hissène Habré et à l’Union africaine de mettre rapidement en place le mécanisme de fonds de réparations. […] Il n’y a aucune raison qui puisse bloquer le processus de réparation. Tout est en place. Mais ce que je regrette, c’est cette mauvaise volonté politique de l’Union africaine, du Sénégal et du Tchad qui fait que les choses piétinent. Malheureusement, c’est ça la réalité africaine.
lors d’une conférence de presse donné le 17 juillet 2013 à Dakar au Sénégal, où l’ancien président est emprisonné pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre et actes de torture.
Clément Abaifouta, président d’une association de victimes de Hissène Habré, ému lors d’une conférence de presse donné le 17 juillet 2013 à Dakar au Sénégal, où l’ancien président est emprisonné pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre et actes de torture. AP – Rebecca Blackwell
Pour certaines de ces victimes, le souvenir des geôles d’Hissène Habré est encore vif, comme en témoigne Souleymane Guengueng, vice-président de l’Association des victimes des crimes et répressions politiques au Tchad.
On ne pouvait pas penser que des êtres humains comme nous pouvions nous traiter de cette manière. Personnellement, j’ai fait cinq prisons différentes et j’ai même été amené à cohabiter avec des cadavres […] à vivre dans une cellule prévue pour une seule personne où nous étions huit, où personne ne pouvait tendre ses jambes. Deux semaines suffisaient pour avoir les jambes paralysées […] Ce qu’a fait ce régime a dépassé l’entendement
Quelle trace Hissène Habré laisse-t-il dans la mémoire des Tchadiens ? Avant tout celle d’un dictateur qui a commis des crimes contre son peuple, estime l’universitaire, juriste et politologue Ousmane Houzibé. Mais cet enseignant de droit constitutionnel et de sciences politiques à l’Ecole nationale d’administration du Tchad, juge aussi qu’Hissène Habré a su imposer une certaine fierté nationale et lutter contre la corruption.
Hissène Habré est surnommé «le Pinochet africain». Hissène Habré a gouverné ce pays d’une main de fer en réprimant les Tchadiens avec une milice : la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS) qui a fait au bas mot 40 000 morts. Mais au-delà de tous les sévices que le peuple tchadien a connus, il y a un souvenir que les gens peuvent retenir de Hissène Habré, c’est qu’en cette période où il gouvernait, le Tchad ne connaissait pas de prévarications, de détournement de deniers publics, l’autorité de l’État était respectée, les citoyens tchadiens étaient disciplinés et cultivaient un sentiment national…
Malgré tout, l’héritage de celui a dirigé le Tchad est diversement apprécié par la rue. Il y a ceux qui saluent ses qualités de bon gestionnaire de l’État et ceux qui pointent les cruautés de son régime et les victimes jusque-là non indemnisés alors que la justice a condamné l’ancien président depuis cinq ans.
La classe politique réagit également
Jean-Bernard Paradée, le secrétaire général adjoint et porte-parole du MPS, le parti du maréchal-président Idriss Déby, adresse ses condoléances à la famille Habré. Il revient lui aussi sur l’héritage de l’ancien président…
Une réaction de tristesse. C’est vrai que c’est le MPS qui est venu le chasser du pouvoir, c’est le gouvernement du MPS qui a voulu qu’il réponde de ses actes devant la justice internationale […] Il n’a pas fait que des mauvaises choses. Il a été l’un des précurseurs à affirmer la fierté d’être africain, d’être tchadien. Le Tchad était envahi par les Libyens. Il a tout fait avec ses compagnons d’armes de l’époque…
Saleh Kebzabo, chef de file de l’opposition sous Idriss Déby et plusieurs fois candidat à l’élection présidentielle, a été récemment nommé vice-président du comité d’organisation du dialogue national. Il réagit au décès d’Hissène Habré.
Depuis 31 ans qu’il avait été renversé par Idriss Déby, l’ancien président Habré a encore beaucoup de partisans à l’intérieur du pays qui [après] la décence politique qu’ils observaient jusqu’ici, auront aujourd’hui la latitude d’agir, de militer plus ouvertement pour la cause nationale qui nous appelle tous et qui est le rassemblement des Tchadiens pour un dialogue inclusif. Le fait que cette page-là se tourne est un élément en faveur de tous les Tchadiens.
Enfin, le témoignage du général Gouara Lassou qui fut la deuxième personnalité de l’État sous le règne de Hissène Habré. L’officier à la retraite estime aujourd’hui que l’ancien président Tchadien a été un des meilleurs chefs d’État de l’histoire du Tchad. Il conteste même les 40 000 morts attribués au régime dont il était le numéro deux.
Au Sénégal, Hissène Habré laissera aussi quelques souvenirs
Il a vécu trente ans au Sénégal, entre les quartiers de Ouakam et des Almadies. De quoi tisser son réseau et construire une bonne réputation. Notre correspondante à Dakar, Théa Ollivier, s’est donc rendu dans ces quartiers pour recueillir les témoignages de ceux qui l’ont côtoyé lui et sa famille de très près.
Tout le monde est bouleversé. C’est une personne qui était bien avec son entourage. Il faisait du social, il était généreux, vraiment pieux…
Texte par : RFI publié le : 25/08/2021