mercredi, novembre 6, 2024
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HOMOSEXUALITE : LE PAPE PRIS EN TENAILLE ENTRE LA DOCTRINE ET LA MISERICORDE

La publication, le 15 mars, d’une note par le Vatican sur la bénédiction des couples homosexuels, a provoqué de fortes réactions. La Croix a enquêté sur la manière dont le pape François travaille sur cette question très sensible pour l’Église catholique.

Ndlr : le titre est de la rédaction de Plume libre

Un débat récurrent qui a pris une force inédite

Un mois après, l’affaire continue de faire couler beaucoup d’encre. La publication par la Congrégation pour la doctrine de la foi, le 15 mars, d’une note concluant à l’impossibilité de bénir les couples homosexuels a réveillé un débat récurrent, qui a pris une force inédite (1).

Bénédictions des couples homosexuels : le pape contre la Curie ?

Car, cette fois, les protestations sont venues de l’intérieur de l’Église, y compris de plusieurs cardinaux. Et François ? Lui dont la phrase, prononcée en 2013 – « Si une personne est gay et cherche le Seigneur, fait preuve de bonne volonté, qui suis-je pour la juger ? » –, est restée fameuse, a-t-il vraiment pris ses distances avec la note publiée par les gardiens du dogme ?

La publication de la note « consentie » par le pape

Pour le savoir, il faut l’écouter présidant la prière de l’Angélus, le dimanche suivant, 21 mars. François insiste : « Le Seigneur, par sa grâce, nous fait porter du fruit, même quand la terre est aride à cause d’incompréhensions, de difficultés ou de persécutions, ou de prétentions de légalismes ou de moralismes cléricaux. Voilà ce qu’est une terre aride. » Ces deux phrases visent-elles la note de la Congrégation ? Selon plusieurs proches du pape interrogés par La Croix, cela ne fait aucun doute.

L’un d’entre eux attire aussi l’attention sur la lettre, adressée le 23 mars, à l’occasion du 150e anniversaire de la proclamation de saint Alphonse de Liguori comme docteur de l’Église. Dans ce long message, le pape brosse un portrait élogieux de ce saint du début du XVIIIe siècle qui fut aussi le patron des confesseurs et… des moralistes. « La théologie morale ne peut pas réfléchir uniquement sur la formulation des principes et des normes, mais elle doit prendre délibérément en compte la réalité qui dépasse toute idée », écrit-il.

Pour autant, peut-on en conclure à un désaccord sur le fond de la note ? Une chose est sûre : François a bien reçu le cardinal Ladaria afin que le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi lui présente son raisonnement et lui fasse part de sa volonté de le publier. C’est d’ailleurs ce qui figure sur la note, où il est indiqué que le pape a bel et bien « consenti » à sa publication.

« Le message du pape François va bien au-delà du contenu de cette note »

Selon les informations de La Croix, si le pape a bien eu une réserve, c’est sur la date de cette publication, à quelques jours du début de l’Année de la famille, mais aussi sur sa forme : une publication sur le site de la Congrégation, sans aucune communication pour expliquer la portée du texte. « Il était bien au courant de l’existence de la note, on ne peut pas dire le contraire, dit l’un de ses amis de longue date. Mais il faut garder en tête que le message du pape François va bien au-delà du contenu de cette note. Il porte un message d’ouverture. »

Un autre de ses amis va plus loin, et tranche : « La réponse de la Congrégation pour la doctrine de la foi n’a été ni signée ni approuvée par le pape. » La même source rappelle le chapitre 8 de l’exhortation Amoris laetitia, intitulé « Accompagner, discerner et intégrer la fragilité ». « Ce chapitre ne vaut pas uniquement pour les divorcés remariés, mais pour toutes les ”situations irrégulières” », souligne ce très proche du pape.

Doctrine et pastorale

Alors que pense vraiment le pape sur l’homosexualité ? Cette polémique sur la note de la Congrégation pour la doctrine de la foi est révélatrice d’une posture de François qui se joue en deux temps : d’un côté, ne pas changer la doctrine ; de l’autre, accompagner chacun dans un chemin de miséricorde. C’est ce qu’explique Mgr Bruno Forte, archevêque de Chieti-Vasto et ancien secrétaire spécial du Synode sur la famille. « Depuis le début de son pontificat, le pape veut allier la miséricorde et la doctrine », insiste-t‑il.

François veut ainsi, explique le théologien italien, tenir ensemble « l’accompagnement des personnes et la fidélité à la doctrine ». « En apparence, certains pensent que cela peut entrer en conflit, admet-il. En réalité, cette alliance entre doctrine et miséricorde est indispensable : la vraie créativité de François consiste à demander à l’Église de penser les deux aspects. Si l’on ne comprend pas cela, on ne peut pas comprendre le pape. Il n’y a pas de concurrence : la miséricorde est la mise en œuvre concrète de la vérité. »

 « Culture de la rencontre »

Depuis le début de son pontificat, François a des contacts réguliers avec des personnes homosexuelles, ou des associations. « Nous savons que le pape a des amis qui sont LGBT », confirme le jésuite américain James Martin, auteur de plusieurs livres sur la question, lui-même reçu en 2019.

Cette « culture de la rencontre » a notamment été mise en œuvre avec Andrea Rubera, en couple avec Dario, tous deux ayant eu trois enfants par GPA. C’est en 2015 que ce catholique, très engagé dans sa paroisse à Rome, écrivit à François pour lui faire part de ses hésitations à inscrire ses enfants au catéchisme.

« Je ne savais pas comment présenter les choses, j’avais peur que la paroisse refuse… », détaille-t‑il aujourd’hui. Deux jours plus tard, un appel fait résonner son téléphone. Au bout du fil, c’est le pape. « Il voulait comprendre le problème, puis il m’a dit : “Tu vas à la paroisse, tu te présentes, ainsi que ta famille, tu demandes, et tu verras que tout ira bien.” » Ce que fera le jeune homme.

Si Andrea n’a plus eu le pape François au téléphone, ce coup de fil est révélateur de la méthode d’un pape qui multiplie les échanges personnels sans pour autant toucher à la doctrine. « Cela répond à une stratégie très précise : il sait qu’il ne peut pas changer le dogme, et donc il met la pastorale au premier plan », analyse Andrea Rubera, aujourd’hui porte-parole de Chemins d’espérance, une association de catholiques homosexuels.

Une note saluée en Afrique

Le pape irait-il jusqu’à la bénédiction des unions homosexuelles ? Rien, à ce stade, ne le laisse présager. Mais Andrea Rubera est persuadé que cette série de rencontres finira par « abattre les préjugés » et débouchera « à plus ou moins long terme » sur des changements plus profonds.

« Cette question de la doctrine ne doit être ni absolutisée ni négligée », tempère Mgr Bruno Forte. Si le « travail doctrinal » sur le sujet demeure selon lui « nécessaire », il rappelle que ce sujet suscite « différentes interprétations » au sein de l’Église. « Le pape ne s’intéresse pas à la possibilité de changer la doctrine », ajoute même le père James Martin.

Au Vatican, la question de la doctrine demeure ultrasensible. « Ces derniers jours, nous avons entendu des voix venues d’Afrique, qui ne sont finalement pas mécontentes d’un tel texte », avance un cardinal, en évoquant la fameuse note. Une manière de rappeler que ces débats dans l’Église sur les couples homosexuels ne se résument pas aux discussions entre catholiques vivant en Europe de l’Ouest et aux États-Unis.

L’homosexualité dans le Magistère

Le Catéchisme de l’Église catholique précise à l’article 2359 que « les personnes homosexuelles sont appelées à la chasteté ». « La Tradition a toujours déclaré que “les actes d’homosexualité sont intrinsèquement désordonnés” », est-il aussi écrit. « Ils sont contraires à la loi naturelle. Ils ferment l’acte sexuel au don de la vie », peut-on également y lire.

Dans sa note publiée le 15 mars, la Congrégation pour la doctrine de la foi « n’exclut pas l’octroi de bénédictions individuelles aux personnes à tendance homosexuelle qui manifestent le désir de vivre en fidélité aux desseins révélés de Dieu, (…) mais elle déclare illicite toute forme de bénédiction qui tend à reconnaître leurs unions. Dans ce cas, en effet, la bénédiction manifesterait l’intention non pas de confier à la protection et à l’aide de Dieu certaines personnes individuelles, dans le sens mentionné ci-dessus, mais d’approuver et d’encourager un choix et une pratique de vie. »

(1) Datée du 22 février 2021, cette note a été rendue publique le 15 mars.

Loup Besmond de Senneville (à Rome), le 27/04/2021

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