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JOHNNY CLEGG, LA DERNIERE DANSE DU ZOULOU BLANC

Propulsé sur la scène internationale à la fin des années 1980, trait d’union entre les cultures de son pays que tout alors opposait, le chanteur sud-africain Johnny Clegg s’est éteint ce 16 juillet à l’âge de 66 ans des suites d’un cancer. Au-delà de l’aspect musical, le « Zoulou blanc » a joué un rôle évident dans la sensibilisation de l’opinion publique occidentale pour condamner l’apartheid et obtenir la libération de Nelson Mandela.

La séquence a un peu plus de vingt ans, mais conservé intact son potentiel émotionnel : lors d’un concert en Allemagne, Johnny Clegg interprète Asimbonanga, chanson phare de son répertoire dont le titre-refrain en zoulou signifie « Nous ne l’avons pas vu », en référence à la très longue détention de Nelson Mandela. Et justement, il ne voit pas arriver derrière lui l’iconique président sud-africain, 79 ans à l’époque, dansant à petits pas et ravi de jouer un tour à son compatriote chanteur qui a tant servi de porte-voix à sa cause.

Leur réunion sur scène, instant singulier, appartient à ces événements symboliques qui semblent écrits d’avance, une sorte d’accomplissement inévitable. Impossible, dans le subconscient collectif, de détacher Johnny Clegg de la lutte contre l’apartheid et pour la libération du leader de l’African National Congress, embastillé de 1964 à 1990 par les autorités sud-africaines.

« L’Apartheid était un capitalisme racial avec un système politique totalitaire et peu de Blancs pensaient aux implications, moralement ou en termes de justice, de droits de l’homme jusqu’à ce que la pression internationale et la résistance à l’intérieur croissent dans les années 80. Quand je n’étais encore qu’un garçon, j’étais juste excité de découvrir la culture d’une personne noire, une nouvelle danse… La politique est venue à moi parce que j’ai commencé à avoir des problèmes en allant dans les quartiers noirs et en me faisant arrêter », rappelait celui qui avait reçu de multiples distinctions honorifiques (chevalier des arts et des lettres en France ou encore officier de l’Ordre de l’Empire britannique). Sans compter les récompenses musicales : Victoire de la musique, Kora Award…

De la Grande-Bretagne à l’Afrique australe

Né en Grande-Bretagne en 1953 d’une mère issue d’une famille juive lithuanienne émigrée, Jonathan a grandi entre trois pays : la Rhodésie du Sud (ancien nom du Zimbabwe), l’Afrique du Sud et la Zambie, où les populations noire et blanche n’étaient pas séparées, contrairement aux deux autres. « Quand je suis retourné dans l’Afrique du Sud ségrégationniste deux ans plus tard, j’étais différent des autres enfants, j’étais plus ouvert, je n’avais pas peur des Noirs », expliquait-il.

Son beau-père, journaliste, l’emmène alors dans les townships où il ne tarde pas à revenir seul. Le coup de foudre avec la culture zouloue est total. « En 1971, il était la seule personne blanche en Afrique du Sud à écrire en zoulou lors de l’examen de fin de lycée, et à l’avoir haut la main », assure le journal des anciens de Wits, l’université de Johannesburg où le chanteur a fait ses études en anthropologie.

Sa rencontre avec Sipho Mchunu, sur fond de passion partagée pour la musique, conduit à la création du groupe Juluka. Le duo atypique voit se dresser devant lui toutes sortes d’obstacles. Il n’a pas le droit de se produire dans les salles de concert : « Les conservateurs blancs étaient furieux, ils disaient que je bâtardisais la culture occidentale », soulignait Johnny.

« C’est un mélange passionnant de musique moderne et traditionnelle » considérait au contraire le journaliste zoulou Hamilton Malaza, parlant de « facettes jusqu’ici inexplorées ». Malgré les interdictions de diffusion, le producteur Hilton Rosenthal parie sur la formule et produit les sept albums du groupe qui parvient à se développer en passant par un circuit parallèle pour donner ses concerts, tandis que Johnny gagne sa vie dans l’enseignement supérieur.

Une première version de Scatterlings of Africa, en 1982, leur permet de se faire entendre à l’étranger et d’effectuer une tournée en Europe et en Amérique du Nord. Le départ de son complice Sipho pousse Johnny à monter une nouvelle formation : Savuka, signifiant « éveillé », succède donc en 1985 à Juluka, « sueur ». Sur le fond comme sur la forme, l’évolution est perceptible.

Le contexte dans lequel sort l’album Third World Child en 1987 s’avère favorable : l’Américain Paul Simon vient de mettre un coup de projecteur musical sur l’Afrique du Sud avec Graceland, et l’opinion publique en Occident se montre depuis quelques années de plus en plus sensible au combat contre l’apartheid, alertée par un certain nombre d’artistes, à commencer par le Sud-Africain en exil Hugh Masekela – disparu en janvier 2018 et auquel Johnny Clegg rendait un hommage appuyé sur sa page Facebook.

Succès en France

En France, l’enthousiasme que suscite le groupe aux danses spectaculaires fait aussi écho à une période particulière : « Mon message arrivait à point nommé : l’extrême droite venait d’obtenir 15% des voix, le pays était choqué », se souvenait le chanteur, rapidement surnommé « Le Zoulou blanc », qui avait appris à parler français au fil des séjours passés dans l’Hexagone.

Très vite, il est à l’affiche des concerts de SOS Racisme, fait la connaissance à cette époque de chanteurs comme Bernard Lavilliers ou Renaud, qui lui donnera un coup de main bienvenu pour produire son album One Life en 2006. Pour la première fois, Clegg y avait chanté en français, mais aussi en afrikaans qu’il tenait jusqu’alors pour « la langue des oppresseurs ».

Le succès se prolonge, y compris outre-Atlantique, jusqu’au début des années 90 puis s’estompe paradoxalement au lendemain de l’abolition de l’apartheid dans ce qui devient « la nation arc-en-ciel ». L’Afrique du Sud a dû relever deux défis en même temps : bâtir une identité nationale à partir de cette fragmentation provoquée par l’apartheid et à laquelle chacun aurait le sentiment d’appartenir ; permettre la mondialisation, qui est antinationale, anti-tradition », résumait le chanteur. Se définissant comme un « activiste culturel », il pointait les comportements néocoloniaux qui ont toujours cours dans l’industrie musicale : « Les autres peuples ont le droit d’évoluer, de connaître le progrès, mais les Africains doivent être congelés dans le passé ! »

Dernier album

Poursuivant sa carrière plus discrètement, tout en étant régulièrement demandé sur les scènes internationales où il bénéficiait d’une aura inaltérée, Johnny Clegg avait fait paraître en 2017 l’album King of Time, intitulé ainsi en guise de pied de nez aux épisodes cancéreux auxquels il avait survécu.

À Port Elizabeth, en janvier 2018, s’était achevé le Farewell Tour, sa tournée d’adieux revenant sur quatre décennies de musique. L’occasion de retrouver son ancien partenaire Sipho Mchunu et d’interpréter la chanson écrite par son fils Jesse Clegg, lui aussi chanteur. Lier le passé et l’avenir, avant de s’en aller trouver les esprits zoulou

RFI

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