Le 60e sommet des dirigeants des États membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) s’est déroulé dimanche 12 décembre à Abuja, au Nigeria. Ces derniers ont exprimé leur « forte préoccupation » quant aux processus de transition en Guinée et au Mali. Ils ont déploré l’absence d’indicateurs clairs d’un éventuel retour à l’ordre constitutionnel. Et maintenu la menace de sanctions supplémentaires dès le 1er janvier sans engagement des autorités maliennes en ce sens. « Les chefs d’État, après de longs échanges, ont décidé de maintenir la date du 27 février 2022 pour l’organisation des élections au Mali. Ils ont décidé de l’entrée en vigueur de sanctions additionnelles en janvier 2022 » si les autorités n’honorent pas leur engagement initial de tenir à cette date des élections censées ramener les civils au pouvoir, a dit devant la presse le président de la commission de la Cedeao, Jean-Claude Kassi Brou. L’institution ouest-africaine a donné aux autorités maliennes jusqu’au 31 décembre pour présenter un plan pour la tenue des élections à la date prévue. Le médiateur de la Cedeao dans la crise, Goodluck Jonathan, se rendra dans les prochains jours au Mali pour des discussions avec les autorités.
La pression ne baisse pas avec le Mali…
La Cedeao est donc passée outre la tentative d’apaisement du président malien de transition, le colonel Assimi Goïta, qui s’était engagé avant le sommet à soumettre un calendrier électoral avant le 31 janvier. Avant le sommet, le colonel Goïta, arrivé à la tête du pays sahélien par un putsch en août 2020 et conforté par un second coup d’État en mai 2021, a écrit à la présidence en exercice de l’organisation. « La République du Mali, par ma voix, s’engage à vous fournir au plus tard le 31 janvier 2022 un chronogramme (calendrier) détaillé », a-t-il affirmé dans un courrier de deux pages.
Déjà sous le coup de sanctions individuelles et institutionnelles
Lors du précédent sommet, le 7 novembre, les dirigeants ouest-africains avaient pris acte de l’officialisation par les autorités maliennes qu’elles ne respecteraient pas leur engagement à organiser fin février 2022 des élections présidentielle et législatives qui ramèneraient les civils à la direction du pays plongé dans une profonde crise multiforme, aussi bien sécuritaire que politique et économique. La Cedeao avait gelé les avoirs financiers et interdit de voyage au sein de l’espace ouest-africain tous ceux qu’elle jugeait coupables de retarder les élections : environ 150 personnalités, dont le Premier ministre et quasiment tout le gouvernement, ainsi que leurs familles. Pour justifier un report électoral dont on ignore la durée, le gouvernement malien invoque l’insécurité persistante.
L’acuité de la situation sécuritaire qui menace les pays côtiers
Depuis des insurrections indépendantistes et djihadiste en 2012, ce pays enclavé est livré aux agissements de groupes affiliés à Al-Qaïda et à l’organisation État islamique, et aux violences de toutes sortes perpétrées par des milices autoproclamées d’autodéfense et des bandits. Les forces régulières sont elles-mêmes accusées d’exactions. Malgré le déploiement de forces onusiennes, françaises et étrangères, la violence s’est propagée au Burkina Faso et au Niger voisins. Aucune amélioration n’a été constatée au Mali depuis la prise du pouvoir par les militaires. Dans son courrier, le colonel Goïta ne s’étend pas sur l’acuité de la situation sécuritaire, illustrée par le massacre de plus de 30 civils par de présumés djihadistes et la mort de 7 Casques bleus tués par un engin explosif en décembre dans le centre du pays. Il invoque les efforts entrepris pour « créer les conditions propices à la tenue d’élections transparentes et crédibles » : « intensification » des opérations pour sécuriser le territoire, présentation d’une loi électorale et lancement, samedi, de consultations (Assises nationales de la refondation) présentées par le gouvernement comme un préalable indispensable. Ces Assises sont censées déboucher sur des recommandations en vue de réformes de fond. Le bien-fondé des Assises est très contesté au Mali. « Le retour à l’ordre constitutionnel est et demeurera ma priorité absolue », assure le colonel Goïta. Les dirigeants africains, notamment ceux des pays côtiers que sont la Côte d’Ivoire, le Bénin ou encore le Togo, se sont déclarés préoccupés par la détérioration de la situation sécuritaire au Sahel, caractérisée par la récurrence des attaques terroristes et l’extension des attaques non loin de leurs frontières. Cette poussée se traduit depuis maintenant plusieurs mois par des affrontements armés dans le nord de la Côte d’Ivoire et, plus récemment, par les premiers affrontements avec les forces armées béninoises.
Un mot sur Wagner
La Cedeao met également en garde la junte malienne, tout particulièrement, contre le recours à une société de sécurité privée. Une allusion claire au Groupe Wagner, qui emploie des mercenaires, notamment en Centrafrique et en Syrie. Ce groupe est déjà dans le viseur de l’Union européenne, qui pourrait dès ce lundi adopter un paquet de sanctions « substantiel » ? Interdiction de visa et gel des avoirs dans l’UE pour des personnes et des entités liées au groupe ? pour répondre aux actions de déstabilisation menées en Europe et en Afrique par la société militaire privée russe. La décision, qui avait fait l’objet d’un consensus lors de leur dernière réunion le 15 novembre, sera ensuite publiée au Journal officiel. Les ministres vont également approuver ce même 13 décembre un cadre juridique leur permettant de « sanctionner ceux qui feraient obstruction à la transition au Mali », avait précisé un des diplomates européens. Le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, avait expliqué que le paquet de sanctions de l’UE visait à la fois « les membres de la société Wagner et les sociétés qui travaillent directement avec » elle. La France a averti Moscou que le déploiement de mercenaires russes dans la bande sahélo-saharienne serait « inacceptable ».
Et plus de pression sur la Guinée
Après le Mali, la Cedeao a été confrontée en septembre à son troisième putsch en un an dans la sous-région, avec le renversement en Guinée du président Alpha Condé. Elle a suspendu la Guinée de ses instances et sanctionné individuellement les membres de la junte. Elle a réclamé la tenue d’élections dans un délai de six mois. L’homme fort de la Guinée, le colonel Mamady Doumbouya, a promis de rendre le pouvoir aux civils. Mais il refuse de se laisser dicter un délai de transition.
Source : Le Point Afrique