Du 22 au 23 octobre dernier, j’ai effectué un voyage dans la ville de Sokoro aux confins de la Côte d’Ivoire à l’une des frontières de notre pays avec le Mali.

Au cours d’un récit de voyage qui a fait l’objet d’une précédente parution  avec pour titre : VOYAGE A SOKOR OU DECOUVERTE D’UNE COTE D’IVOIRE EN CHANTIER, l’accent a été mis sur la découverte des grands travaux qui s’effectuent depuis Abidjan jusqu’au nord du pays. Dans le texte qui va suivre, il s’agira de faire le ZOOM sur la ville de Sokoro où traditions et  modernisme se côtoient dans un accord parfait

Jour de Marché

Après avoir quitté Minignan en mototaxi, j’arrive à Sokoro en une trentaine de minutes plus tard, ce vendredi 23 octobre 2021.Nous avons parcouru le motocycliste, le jeune élève malien et moi  en tant que passagers,  la distance de 26 kilomètres qui sépare les deux villes en un trait ;  le motocycliste étant un habitué du trajet.

Au plan géographique, Sokoro est une ville du nord-ouest de notre pays. Au même titre que Kaniasso, c’est une sous-préfecture de  Minignan, son chef-lieu de département. Aujourd’hui, sa population est évaluée à 7000 habitants.

C’est jour de marché. La ville est pleine. Les marchands sont arrivés des villes environnantes de même que du Mali et de la Guinée, pays voisins. Le marché regorge de marchandises de toutes sortes notamment beaucoup de produits venant de Guinée tels que les jus de fruits .Pour la sécurité de mon reportage, j’achète des piles en provenance du Mali. Tout cela pour dire que dans ses zones, l’intégration économique est déjà de mise même si je ne sais pas si les produits dont j’ai  parlé sont dédouanés. Cependant, en tant que client, je ne me plains pas puisque qu’ils sont de qualité et à des prix abordables. Ainsi va la vie.

A ce niveau  il est important de m’appesantir sur la notion de « jour de marché ». Cette notion est une réalité socioculturelle, socioéconomique et sociohistorique liée à notre environnement. Elle se pratique dans de nombreuses villes de l’intérieur du pays et même dans certains pays limitrophes. En cela, chaque ville a son jour de marché .Ce jour-là, les commerçants des autres contrées proches ou lointaines, se déplacent vers la ville en question et cela bonifie ses activités.

Bien logé

Dès que la moto gare en plein marché, je suis conduit chez le chef de kabla en même temps chef de village au plan administratif, El hadj Cissé Daouda, un homme très affable. Son fils, Cissé lamine qui avait été prévenu de mon arrivée, me ramène à moto à l’entrée de la ville où je suis logé dans une maison de trois pièces occupée par le lieutenant Kouadio, chef de poste des Eaux et Forêts. Ce dernier, un fin cuisinier, me donne un plat de riz copieux avec une sauce tomate contenant beaucoup de viande. Il en profite pour me céder la maison puisqu’il doit rejoindre sa famille installée à Abidjan.

Sous l’arbre « Sô »

Avant mon arrivée dans cette agglomération nommée au plan administratif SOKORO (tel que c’est écrit), je croyais que cette appellation signifiait dans la  traduction du malinké au français, « ancienne ville » comme c’est le cas avec SATAMA SOKORO autrement dit, « l’ancienne ville de Satama » qui s’oppose à SATAMA SOKOURA, « la nouvelle ville de Satama », toutes deux situées dans la région de Dabakala. Que non ! C’est après explications que je me suis rendu compte que la réalité était tout autre par rapport aux subtilités de nos langues qui sont des langues à tons. Malheureusement, l’orthographe français n’arrive pas souvent à faire paraître ces tons en question. Conséquence logique, certains de nos mots sont déformés.

Dans notre cas de figure ,au plan phonétique, il faut plutôt lire « sôkôrô » c’est-à-dire « sous l’arbre Sô. », le Sô, étant un grand arbre communément connu dans la région des savanes.

Une image de carte postale.

La ville elle-même, est composée de deux grands quartiers: Sokoro 1 et Sokoro 2 séparées par la rivière Bricô.Par la suite, je me rendrai compte que pour les natifs de la ville, chaque quartier constitue en fait un village.

Cette rivière est enjambée par un pont, une véritable curiosité pour le nouvel arrivant .En effet, compte tenu des pluies qui se sont abattues sur la région, le débit de l’eau est si fort qu’on entend de loin un bruit  assez fort comparable à celui d’une averse. Comme dans une image de carte postale, certains enfants y nagent, d’autres font des acrobaties qu’on appelait à mon enfance « des fritchines » .Cerise sur le gâteau, des jeunes filles essaient de capturer des poissons avec des nasses. Un petit paradis qu’on ne retrouve que dans ces contrées loin d’Abidjan où le bonheur ne tient pas à beaucoup de choses pour ses enfants insouciants qui ne demandent qu’à s’amuser.

Le Mali à 300 mètres.

Par ailleurs, toujours au plan géographique, la ville de Sokoro  fait frontière avec le Mali de manière particulière .Cette particularité n’a pas manqué d’attirer mon attention. En effet, dans le cadre de la visite que j’ai effectuée dans la ville, en partant de Sokoro 1à Sokoro 2, je suis tombé à mon grand étonnement sur la présence d’un poste des forces de l’ordre avec lits-picots, moustiquaires, douaniers et une plaque marquant « poste frontière », en pleine ville. Le territoire malien est tout juste à 300 mètres ou à 500 mètres au plus selon mon estimation. .Autrement dit, un pan du territoire Malien se trouve en une enjambée de la Côte d’Ivoire. On m’apprend toutefois que, même si le Mali débute en ce lieu, le premier village de ce pays frère est situé à cinq kilomètres de lieu.

Autre détail important, ce poste –frontière est suivi par une frontière naturelle située à 1,5 kilomètre de la première. Il s’agit d’une rivière dénommé Gbôlonzon. Celle-ci a un débit irrégulier en fonction des saisons. En saison pluvieuse, elle sort de son lit et peut se répandre dans les plaines longeant son lit. Ceci cause souvent de graves inondations pouvant même empêcher des échanges de part et d’autre de la frontière. En saison sèche, elle tarit jusqu’au point qu’il ne reste que quelque regorges d’eau. Doumbâ. , l’une de ces regorges est adorée du fait de ses aspects mystiques selon certaines croyances du milieu.

Des réalités sociologiques très pointues

Au plan historique, Sokoro a été fondée par deux frères en provenance de Bacongo située actuellement en Guinée du fait du partage colonial de l’Afrique de l’ouest. Ce partage n’a pas tenu compte de nos royaumes, sinon  le Royaume de Bacongo s’étendait à la fois sur la Guinée, le Mali et l’actuel Côte d’Ivoire. Ils se sont adonné à la culture de la terre et à l’élevage. Par la suite, d’autres personnes les ont rejoints. Conséquence logique, la population n’a cessé d’augmenter si bien que la ville est devenue prospère et très convoitée.

La population de Sokoro est essentiellement constituée de Malinkés portant des noms de familles telles Cissé, Sanogo, Savané, Diakité, Diallo, Sylla, Diaby, etc. Elle est répartie en kablas qui sont des regroupements claniques. Ces kablas constituent par la même occasion, des quartiers. Ainsi Sokoro 1 se compose-t-il de cinq quartiers : Masséni, Kêrêkola, Bananguôrô, Tabourela et Moridougou.

Sokoro 2 de son côté, se compose de Bramala, Diabyla, Mamidougou, Babala et Tabouré. Les trois premiers kablas forment le Gbakala.

Par ailleurs, comme dans toutes les contrées malinkés, cette société est organisée en castes qui font apparaitre une certaines hiérarchisations liées aux fonctions pratiquées par chacune d’elle. Cette organisation participe de la meilleure gestion des affaires courantes, politiques et religieuses. Le chef suprême de la ville est nommé à vie et de façon héréditaire. Et c’est à ce niveau que réside une des subtilités de cette ville.

En effet, chaque Sokoro a son chef de village (bien que nous soyons dans une sous-préfecture) reconnu par l’administration .Il est appelé en malinké toubabou dougoutigui. En français, cela donne: «le chef de village du Blanc». Il s’agit en fait du chef de village reconnu par l’administration. Ce dernier cohabite avec le chef de terre dans le cadre de la gestion des affaires courantes.

A Sokoro 1,  le chef  de village (toubabou dougoutigui) se nomme gnênin-Boulaye.le chef de terre se nomme Sritchè- Moussa

A Sokoro 2, le chef de village se nomme El hadj Cissé Daouda (mon  hôte)  ou encore Djeneba –Daouda (son prénom est précédé de celui de sa mère comme cela se fait dans les sociétés où la polygamie est pratiquée pour établir la différence entre les enfants du village qui  porte les mêmes noms).C’est le même cas que pour les autres personnes citées auparavant Quant au chef de terre il se nomme se nomme El hadj Moussa Cissé. Lui aussi porte un autre nom composé avec le prénom de sa mère que je n’ai pu retenir malheureusement. Il est le petit frère de sritché-madou, le chef de terre de sokoro 1 qu’il représente à sokoro 2.

Ces petits détails très pointus sont des réalités sociologiques avec lesquelles il faut compter et qui rythment la vie de la ville, le tout bâti autour d’un consensus. Il faut même y faire attention pour ne pas blesser les susceptibilités liées aux règles protocolaires du milieu. Ainsi va l’Afrique et ses faits culturels.

Une ville moderne à l’image de celles du pays

Sokoro comme toutes les entités administratives de la Côte d’Ivoire, possède toutes les infrastructures qui font d’un territoire, une sous-préfecture : le bureau de la sous-préfecture évidemment ; un centre de santé peint en bleu et blanc à l’image de ceux du pays, composé d’un hôpital et d’une maternité;  des écoles primaires en l’occurrence sokoro 1et sokoro 2, un collège moderne. De même, comme c’est le cas dans les autres entités administratives à travers le pays, à Sokoro on a l’eau, l’électricité, un marché moderne construit cependant par les membres de sa diaspora.

Une diaspora vivant essentiellement aux Etats-Unis

Celle-ci est en majeure partie composée d’enfants du lieu vivant aux Etats-Unis d’Amérique. Combien sont-ils ? Je pourrai me hasarder à parler de centaines puisque les premiers à y aller y sont depuis plus de quarante ans. Ces derniers s’y sont mariés, y ont fait des enfants .Certains y ont même des petits enfants qui sont tous américains .Dans ce sens, une des particularités de cette citée c’est que chaque famille a au moins un enfant dans le pays de l’oncle Sam .Ces derniers, certainement par un souci de dignité ou peut-être même de concurrence positive, se font un point d’honneur de construire chacun dans sa cour familiale une maison en dur d’allure assez respectable Cette réalité confère à la ville un air de modernité. Quoi de plus évident peut-on dire, puisque c’est une sous-préfecture ! Et pourtant, ce constat n’est pas une évidence dans certaines villes du pays que j’ai eu  la chance de visiter.

Tradition et modernité au coude à coude.

Malgré tout, à sokoro, tradition et modernisme se côtoient. Comme c’est le cas dans la plupart des villes du Nord, les maisons modernes côtoient des  cases et les greniers. De même, des ânes déambulent libres ou tirant des charrettes. Des moutons djalonkés de même que des moutons d’origine tchadienne comme on les appelle, circulent librement dans la ville.

Dans mon tour de la ville, j’arrive à  l’école première de sokoro 2 où le conseiller pédagogique du secteur éducatif est en pleine séance de travail avec un groupe d’instituteurs et d’institutrices. Les autres étant en classe. Après échange, j’apprends que les deux groupes scolaires de la ville totalisent au total 12 classes soit 12 instituteurs avec seulement cinq logements de maitres. Pourtant, selon les règlements du Ministère de tutelle, chaque groupe scolaire de 6 classes devraient en principe avoir 6 logements de maitre. Cette réalité il va sans dire, ne peut que créer des désagréments au niveau du confort  des enseignants.

Un collège moderne flambant neuf avec toutes les commodités

L’école de Sokoro2 n’est pas nouvelle et cette air d’ancienneté se perçoit à travers la cantine .Celle-ci ne présente pas fière allure à l’image de son toit rouillé par le temps et les intempéries. Fort heureusement, ce même jour dans la matinée, la Chine a offert à la ville, un Collège moderne flambant  neuf à base 4 de 16 classes auxquelles s’ajoutent des salles spécialisées, une administration avec les salles des éducateurs, une bibliothèque, une salle de professeur, etc. Ce collège moderne n’a rien à envier à ceux qu’on trouve dans les grandes villes.

Flash-back.

A ma grande surprise, pendant que j’échangeais avec le conseiller pédagogique, un élève en guise de sonnerie est venu faire teinter une cloche, en fait, la jante d’un pneu. Ce petit fait anodin a eu pour conséquence de me ramener quarante ans en arrière alors que j’étais élève à Dabou, à l’école primaire Application 1 où l’on utilisait le même matériel pour la sonnerie.

La fin de ma visite coïncide avec le départ, du conseiller pédagogique qui doit se rendre à sokro1 pour son inspection. Il fait appel à un motocycliste qui l’y conduit.

Après l’école de Sokoro2, je visite le bureau de la sous-préfecture. J’y trouve un seul agent, un garde de sous-préfecture qui fait en même temps office d’agent administratif. Cet homme très accueillant, fait partie de tous ces fonctionnaires loin de la capitale et qui jouent un rôle insoupçonné dans le processus de développement de notre pays.

Le sous –préfet, monsieur Diané Séka Pamphile, à mon arrivée à ses bureaux, venait tout juste de rentrer à la maison pour quelques contraintes à régler avant de revenir au bureau .Il avait pris part dans la matinée, à la cérémonie de réception de la nouvelle école dont les clés venaient de lui être remises par l’entreprise chinoise qui construit la  route Minignan-Sokoro. Je n’aurai pas la chance de le rencontrer pour une interview .Cela va constituer un bémol dans mon reportage.

Ma pérégrination se poursuit à Sokoro 1avec la découverte de certains vestiges historiques à caractère islamique qui feront l’objet de la suite de ce texte.

La nuit, je retourne à mon lieu d’accueil où m’attend un plat de pintade aussi grosse qu’un poulet accompagné de riz local que m’a fait envoyer le chef de village. Je me donne à cœur joie à cette nourriture faite avec beaucoup d’attention. Après le repas et un bon bain, je veux découvrir Sokoro by night. C’est à ce moment que je me rends compte que je ne suis pas dans un coin de show comme c’est le cas à Yopougon ou à Gagnoa pour ne citer que ces deux cas de figures.

Nous sommes dans la nuit du vendredi au samedi et la ville est calme. Les rues particulièrement vides. Pas de maquis, pas de boite de nuit .Seul un atelier de couture en face du marché distille de la musique à travers un poste radio branché à des baffles. Pas de quoi retenir un mélomane .Je paye un pot de lait caillé et retourne à mon logis où je me mets au lit satisfait d’avoir découvert une autre ville de la Côte d’Ivoire avec d’autres réalités economiques,socioculturelles, socioreligieuses qui apportent toujours un plus au journaliste que je suis et qui élargissent son champ de connaissance .

kemebrama@hotmail.com

A SUIVRE : L’ISLAM A SOKORO DANS SES DIFFERENTS DETAILS

 

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