Ils ne seront pas sur la Croisette mais leurs ombres planeront sur le Festival. Qu’ils soient interdits de tapis rouge, assignés à résidence ou déserteurs, leur absence marquera le grand raout cannois.
– Harvey Weinstein
Des années durant, il a eu ses quartiers au Festival de Cannes. Cette année, et pour la première fois depuis des lustres, on ne verra pas Harvey Weinstein sur la Croisette – peu de chances d’ailleurs qu’il y revienne un jour. Le désormais ex-magnat d’Hollywood regardera les festivités depuis sa chambre d’hôtel de l’Arizona, où, dit-on, il suit un traitement contre l’addiction au sexe. Et, il n’est pas exclu qu’il entende parler de lui-même.
Depuis qu’en octobre dernier de nombreuses actrices ont révélé avoir été sexuellement agressées et harcelées par l’ancien producteur américain, chaque grand-messe cinématographique comme les Golden Globes ou les Oscars ont été l’occasion de dénoncer sa prédation et, plus largement, celle d’une industrie phallocratique. Le Festival de Cannes ne fera d’autant pas exception qu’il fut l’un des théâtres privilégiés de ses agissements. Comme l’a révélé The Hollywood Reporter, Harvey Weinstein y était surnommé le « porc », notamment par les employés de l’hôtel Cap-Eden-Roc, où il élisait domicile durant la quinzaine. C’est dans cet établissement, d’ailleurs, que l’actrice italienne Asia Argento affirme avoir été violée par l’ancien patron de Miramax. C’était en 1997, il y a plus de 20 ans.
Accusée d’avoir fermé les yeux sur le « système Weinstein », l’organisation du Festival s’est engagée, cette année, à lutter contre le harcèlement sexuel en mettant en place, en partenariat avec le secrétariat d’État en charge de l’Égalité entre les hommes et les femmes, un numéro de téléphone pour signaler d’éventuelles agressions. Un fascicule dans lequel seront rappelées les dispositions pénales pour les faits de harcèlement sexuel sera également distribué aux festivaliers. Comportement correct exigé donc, comme le dit le document…
– Les selfies
Thierry Frémaux, le délégué général du festival, et Pierre Lescure, son président, les jugent « vulgaires », « ridicules », « grotesques » et « nuisibles à la qualité du Festival de Cannes »… Ce sont les selfies qui, cette année, seront tout bonnement interdits de montées des marches. Les spectateurs invités aux projections seront donc priés de ne pas se photographier avant d’entrer au Grand Théâtre Lumière…
Ce n’est pas la première fois que les organisateurs tentent de bannir la pratique de l’autoportrait numérique. Il y a deux ans, ils avaient déjà décrété le selfie « narcissa non grata » sans que cela soit suivi d’effet. La question aujourd’hui est de savoir comment ils vont s’y prendre pour empêcher les festivaliers, tirés à quatre épingles, d’immortaliser leur passage sur le tapis rouge. Y aura-t-il un service de sécurité renforcé ? Les téléphones portables seront-ils confisqués à l’entrée de la salle ? Des agents stationnés sur le toit du Palais des Festivals seront-ils autorisés à tirer des flèches endormantes sur les contrevenants ? Suspense… L’interdiction risque en tous cas de créer de belles petites scènes sur les fameuses marches.
– Netflix
L’affaire est entendue depuis un an : les films qui n’ont pas vocation à être diffusés dans les salles françaises n’auront plus le privilège de concourir pour la Palme d’or. Principal visé : Netflix, évidemment, dont les productions sont, en France, uniquement visibles sur sa plateforme de vidéos sur abonnement (SVOD). L’an passé, la sélection en compétition d' »Okja » et de « The Meyerovitz Stories », tous deux propriétés du groupe américain, avait créé une bronca auprès des exploitants des salles françaises et failli coûter sa place à Thierry Frémaux (de son propre aveu).
Pour cette édition 2018, le délégué général n’étant pas parvenu à convaincre Netflix de passer par la case cinéma (ce qui, selon la chronologie des médias « made in France », l’obligerait à attendre trois ans avant de mettre ses films sur sa plateforme SVOD), l’entreprise américaine aurait dû se contenter du hors-compétition. Seulement voilà, aux yeux du patron des contenus, Ted Sarandos, Netflix a bien trop d’ambitions dans le septième art pour évoluer en deuxième division. Résultat : boycott.