Ce texte qui fait l’objet de notre parution est  du Professeur Titulaire d’Histoire des Relations Internationales, Moritié CAMARA

Dans sa réflexion, il tente de nous faire comprendre les causes et les enjeux de la situation au Mali au-delà des émotions qui animent les opinions qui s’intéressent à cette situation Dans la première partie de son  intervention déjà parue  il a mis en évidence le problème Touarègue comme l’une des causes essentielles du problème malien .

Dans cette seconde partie, il met en évidence les contradictions qui existent entre les intérêts français et le pouvoir des militaires maliens

LE COUP D’ETAT DU CAPITANE AYA SANOGO

D’ailleurs c’est cette raison qui sera évoquée par le capitaine Sanogo pour justifier son coup d’Etat contre ce denier le 22 mars 2012.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, son successeur élu démocratiquement Ibrahim Boubacar Keita sera lui aussi arrêté par l’armée poussé dans le dos par une population excédée par la situation du nord et par le grave déficit de gouvernance du pays, le 18 aout 2020.

Les militaires manifesteront leurs bonnes dispositions en acceptant de confier sous l’insistance de la communauté internationale, la transition à un Exécutif dirigé par deux civils avec pour feuille de route une Charte définissant les prérogatives de chacun et un calendrier pour un retour à une situation constitutionnelle légale.

Les choses ne se passeront pas comme prévue car le Président et le Premier Ministre vont délibérément violer les dispositions de la Charte en outrepassant leurs prérogatives à travers un remaniement ministériel inopportun mettant sur la touche deux notables militaires du gouvernement. En réaction ces derniers ont décidé de reprendre la main causant la colère de la France puis de la CEDEAO.

LA SOCIETE WAGNER OPPOSE AUX INTERETS FRANÇAIS

La raison de cette brusque et inattendue évolution est à rechercher dans la volonté des militaires maliens de solliciter les services de la société militaire privée Wagner qui a déjà aidé l’Etat Centrafricain à assoir son empire sur la quasi-totalité de son territoire alors même qu’il n’en contrôlait à peine que 15%.

La France qui est engagée militairement au Mali depuis 2013 avec plus de 5000 hommes peine à neutraliser les insurgés qui font régulièrement des morts dans les rangs de l’armée et de la population malienne et qui se sont exportés au nord du Burkina Faso et au Niger faisant régner la mort notamment dans la zone dite des trois frontières.

Les autorités maliennes séduites par la situation de la Centrafrique ont opté pour la même solution. Mais la France qui a été sortie contre son gré de l’équation centrafricaine refuse de se voir marginaliser également au Mali par la même société de sécurité dirigée par un proche du Président Russe Vladimir Poutine.

La privatisation est pourtant avec son caractère asymétrique la nouvelle réalité de la guerre depuis plusieurs décennies. En Irak, les mercenaires convoyés par les sociétés militaires privées constituaient le second contingent des forces étrangères présentes dans ce pays aux côtés des Américains avec quelques 120.000 hommes. Les maliens n’ont donc rien initié.

Cependant, les dirigeants français (le Président et ses Ministres des Affaires Etrangères et des Armées) ne s’interdiront aucune surenchère pour empêcher que les « mercenaires russes » ne prennent pieds au Mali. La brutalité et la détermination de cette croisade explique mieux que le Coup d’Etat lui-même la tournure qu’a prise aujourd’hui la question malienne.

Tous les universitaires africains gardent également à l’esprit les soubresauts qui ont secoué la revue « Afrique contemporaine » en mars 2019 suite à la suspension d’un dossier sur le Mali ordonné par les responsables de l’Agence Française du Développement car donnant une version de l’Histoire non conforme à la leur, déclenchant ainsi la démission du rédacteur en chef et d’une partie du conseil scientifique tout en occasionnant la mort cérébrale de cette publication crée en 1962.

Il est donc évident que le Mali tient une place importante dans l’agenda des autorités françaises. L’enjeu actuel pour la France est donc de se débarrasser au plus vite de cette junte militaire peu accommodante et sur le point d’ouvrir le pays à la Russie alors que pour les colonels au pouvoir à Bamako, il est question de traiter à la source les problèmes structurels et de sécurité qui perturbent la quiétude des maliens depuis deux décennies maintenant.

L’EPINE CEDEAO

Dans ce bras de fer, la CEDEAO semble avoir pris fait et cause pour la France en pressant les militaires d’organiser ici et maintenant, sans promesse ni dérogation des élections. En agissant ainsi la CEDEAO a suscité contre elle l’incompréhension et la colère d’une frange importante de l’opinion publique régionale et africaine qui lui reproche de ne pas tenir compte non seulement de la volonté des maliens et de leurs intérêts mais aussi de la promesse que le prochain Président élu soit à son tour confronté aux mêmes difficultés et au même sort que ses prédécesseurs.

En effet, le fait que tous les Coups d’Etats au Mali sont consécutifs au soulèvement de la seule garnison et même garnison du camp militaire Soundjata Keita de Kati ne devrait pourtant pas échapper à tous les protagonistes internes et externes de la question malienne et les informer par la même occasion de ce qu’est l’armée malienne en réalité mais également de la solidité des institutions du pays qui s’écroulent au moindre vent violent.

N’y a-t-il pas nécessité de se donner le temps pour changer quelque chose afin que tout ne continue pas comme avant ? La question est pertinente mais la réponse par évidente car tributaire du point de vue depuis lequel l’on observe la situation.

Ces problèmes structurels et non conjoncturels et qui ont même une dimension existentielle pour le pays, figurent avec l’équation du nord en haut du panier de ceux qui ont été identifiés par la concertation avec notamment les acteurs de la société civile, chauffés à blanc par une cohorte d’activistes de tous poils et qui se sont érigés en sentinelles de la défense des intérêts du Mali et avec lesquels il faut compter désormais dans tous les cas de figures.

Face à l’immensité et la complexité de la tâche, les militaires estiment avoir besoin de plus de temps que deux ou trois semaines pour la tenue des élections. Il s’agit ici de la vie d’une nation et non d’une personne ou d’un groupement d’intérêts. Il est donc logique de se donner le temps nécessaire pour impulser un nouveau commencement qui ne soit simplement un recommencement comme nous en avons été témoins dans de nombreux pays africains.

PRIORITES ET AGENDAS DIFFERENTS

En tant que pays réputé indépendant, le Mali a le droit de définir ses priorités, son propre agenda et de faire ses propres choix tout comme les occidentaux le répètent à tue-tête à la Russie concernant la liberté de l’Ukraine de conclure les alliances qu’elle souhaite.

Dès lors, la question qui arrive involontairement à l’esprit est de savoir si dans une telle situation les sanctions  réputées sans précédent de la CEDEAO et de l’UEMOA arriveront à fonder l’Histoire dans ce pays (troisième économie de la zone UEMOA et dans lequel les citoyens possèdent plus d’avoir que l’Etat lui-même), et dans l’intérêt de qui ?

Moritié CAMARA Professeur Titulaire d’Histoire des Relations Internationales

 

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