Des fans de l’artiste ivoirien ont déterré le cercueil de DJ Arafat aussitôt après son enterrement, samedi 31 août, au terme d’une cérémonie d’hommage grandiose, qui aura duré jusqu’au petit matin.
En contrebas du cimetière de Williamsville, à Abidjan, un groupe de jeunes dépèce ce qu’il reste de la carcasse d’une voiture brûlée. D’autres cassent des panneaux de signalisation, sous le regard impuissant des forces de l’ordre. Du verre jonche la chaussée. Des barricades ont été dressées. Ce samedi 31 août, vers 10 heures, l’enterrement de DJ Arafat vient tout juste de dégénérer.
Depuis l’annonce de sa mort, le 12 août, certains de ses fans refusaient d’y croire, persuadés que cette mort annoncée n’était qu’un fake et que leur icône allait réapparaître. Alors, sans même attendre la fin de l’inhumation, des centaines d’entre eux ont envahi le cimetière, arrachant les fleurs posées sur la tombe avant de déterrer puis d’ouvrir le cercueil.
Ce n’est pas lui ! Ils l’ont remplacé par un mannequin
Le corps qui leur fait face est-il vraiment celui de leur idole ? Certains « Chinois » – le surnom que l’artiste avait donné à ses fans – ont beau le toucher, ils semblent refuser l’évidence, préférant à la dure réalité de sa disparition les théories du complot les plus farfelues.
« Ce n’est pas lui! Ils l’ont remplacé par un mannequin. Pourquoi ont-ils fait ça ? », Lance l’un d’eux, épuisé par sa nuit blanche. Il faudra l’intervention musclée des forces de l’ordre pour faire évacuer le cimetière de Williamsville et permettre à la dépouille de retrouver sa place. Tendue jusqu’à la mi-journée, la situation s’est ensuite calmée.
Arrivés les bras en l’air
La profanation de la tombe de DJ Arafat est venue gâcher une cérémonie d’hommage qui s’était, jusque-là, parfaitement déroulée. La veille, des dizaines de milliers de personnes s’étaient en effet rassemblées dès 13 heures au stade Félix Houphouët-Boigny, dans le quartier du Plateau – bouclé pour l’occasion – pour un grand concert.
Ils sont arrivés débordants d’énergie, les bras en l’air, en prévision des contrôles de police, un sifflet à la bouche, portant des bandanas et des t-shirt à l’effigie de leur champion. « Daishi ! Daishi ! », Criaient-ils. La cérémonie a vraiment débuté à la nuit tombée, à l’heure du balai quotidien des milliers de chauves-souris quittant le Plateau.
Famille, amis, anonymes, people et politiques, ils n’auraient raté ça pour rien au monde. Davido, Koffi Olomidé, Fally Ipupa, Sidiki Diabaté, Ismaël Isaac, mais aussi d’anciennes gloires de la musique ivoirienne comme Sidonie la tigresse, tous se sont succédé sur la scène jusqu’au petit matin. Les enfants de la star et son staff les avaient précédés.
Bakayoko, Fally Ipupa et Drogba
Dans la corbeille VIP, on pouvait croiser les ministres Hamed Bakayoko, Kandia Camara et Maurice Bandama, l’homme d’affaires Adama Bictogo, le rappeur Mokobé, du groupe 113, le footballeur Kader Keïta ou encore l’ancien porte-parole de Laurent Gbagbo, Alain Toussaint.
Ami de longue date d’Arafat, Didier Drogba semblait inconsolable, masquant sa peine derrière les verres de ses lunettes de soleil. Hamed Bakayoko, lui aussi, était un grand ami du chanteur, qui le considérait comme son père. Pour l’occasion, le ministre de la Défense portait un jeans, des chaussures et une veste en cuir offerts par ce dernier. Appelé à monter sur scène par Sidiki Diabaté, « Hambak » ne s’est pas fait prier, s’offrant un standing ovation et enflammant la foule.
« DJ Arafat n’était pas le créateur du coupé-décalé. Mais c’est lui qui, par son génie, le rend mondialement célèbre. C’est à ce génie que la Côte d’Ivoire rend hommage aujourd’hui. L’ensemble du gouvernement, par ma voix, dit son infinie reconnaissance à Ange Didier Houon, dit DJ Arafat, pour son immense contribution au rayonnement artistique et à l’influence culturelle de notre pays, la Côte d’Ivoire », a aussi déclaré à la tribune le ministre de la Culture, Maurice Bandaman, avant d’annoncer qu’Arafat serait décoré de l’ordre national à titre posthume, la plus haute distinction ivoirienne.
Déchaînés pendant tout le concert, les fans de l’artiste ont laissé éclater leur peine à l’arrivée de la dépouille, à 6 heures du matin. Après un tour d’honneur dans le stade, le cortège a ensuite pris la direction du cimetière, où les incidents ont eu lieu.
Avant, on ne parlait que de la musique congolaise. Mais aujourd’hui, tout le monde reconnaît la côte d’ivoire grâce à DJ Arafat
Coupé-décalé
DJ Arafat était le roi du coupé-décalé, ce genre musical né dans les années 2002, quand le pays sombrait dans la guerre civile et que la musique permettait d’oublier les tourments du quotidien. C’est à cette époque qu’Arafat a écrit ses lettres de noblesses. Pour ses admirateurs, il était l’équivalent d’un Michael Jackson : une star qui faisait la renommée de leur pays partout en Afrique.
« Avant, on ne parlait que de la musique congolaise. En Côte d’Ivoire, il n’y avait que Magic System. Mais aujourd’hui, tout le monde reconnaît notre pays grâce à DJ Arafat », lance avec fierté Souleymane. Âgé de 22 ans, il a commencé à écouter DJ Arafat en 2004, en classe de CE2.
Briseur de lois
L’admiration que lui portaient ses fans n’avait aucune limite. Ils enviaient son style de vie, sa liberté… « Quand il voulait faire quelque chose, il le faisait. Pour moi, c’était un briseur de lois. Il arrive des moments où il faut vivre ta vie. Arafat nous a ouvert l’esprit », ajoute Coco, un autre admirateur.
Journaliste sportif de 32 ans, Mori Diabaté dit avoir des frissons quand il parle de son idole. « On se retrouve tous en lui. On l’a vu grandir tout seul à Yopougon. Malgré les difficultés, il a pu s’en sortir. C’est cette valeur qu’il a en nous, les Chinois, nous qui sommes à la gare, nous qui nous débrouillons, nous qui travaillons sous le climatiseur… On n’a pas eu besoin de l’appui de nos parents, on est issus d’une jeunesse qui a été laissée pour compte au moment de la guerre, en 2002. »
Il n’y avait pas de message dans ses chansons, mais sa mort m’a touché
Arafat entretenait une relation ambiguë avec les Ivoiriens. Tous ne l’aimaient pas, car auprès de certains, ses frasques passaient mal. On critiquait son influence néfaste sur la jeunesse. À son domicile d’Angré, les voisins se plaignaient constamment de nuisances sonores et auraient souhaité le voir déménager. Pourtant, tous ont été marqués par sa mort. Serge ne fait pas partie de la « génération Arafat ». Il a 40 ans, a été bercé au rythme du Zouglou et confesse qu’il ne l’écoutait pas beaucoup. « J’aime les chansons qui ont du sens. Il n’y avait pas de message dans ses chansons. Mais on l’a négligé. C’est seulement maintenant qu’on voit qu’il était important. Sa mort m’a touché. »
Arafat, c’était l’homme !
Par crainte des violences, de nombreux fans avaient renoncé à se rendre au stade, préférant suivre la retransmission en direct sur l’antenne de la RTI, chez eux ou dans un maquis. Dans ce petit bar de la Riviera, on a bu et dansé jusqu’au bout de la nuit pour célébrer le « Daïshikan ».
L’écran est minuscule mais la sono assure. Odette a les larmes aux yeux. « Personne d’autre que lui n’aurait pu rassembler autant d’artistes pour des funérailles. Il est au-dessus de tout. Le monde. Arafat, c’était l’homme ! »
Par Vincent Duhem de JA.com
31 août 2019 à 20h28
Mis à jour le 01 septembre 2019 à 13h45