FIDEL CASTRO : UN DESTIN PARTICULIER

Dans la première partie de ce dossier nous avons mis l’accent sur une partie de la vie de Fidel Castro dirigeant cubain qui a marqué l’histoire du 20eme siècl. Dans cette deuxième partie, nous allons nous appesantir sur le long règne sans partage qu’il a mené faisant de lui le chef d’Etat qui a duré le plus au pouvoir dans le monde.

Épurations médités populaires

Maître de Cuba, Castro joue un temps les modérés. Il n’accepte aucune fonction au sein d’un gouvernement composé de réformistes. En réalité, maître de l’armée, il prépare en sous-main un gouvernement parallèle composé de communistes et de révolutionnaires issus de l’aile dure du M26. Deux mois après la prise du pouvoir, l’Assemblée nationale est dissoute, et une nouvelle Constitution promulguée. Le 8 février 1959, celui que l’on surnomme déjà el caballo pour ses ruades de cheval fou

« Accepte » le poste de Premier ministre qu’il s’est lui-même offert. La rue cubaine est derrière lui. Fidel Castro « épure » le pays par les armes et prend des mesures populaires : suppression des plages privées, baisse des loyers, du téléphone et de l’électricité. Il se fait passer pour un démocrate humaniste et met pour un temps une sourdine à son soutien aux guérillas sud-américaines. Son aversion pour la dictature paraît sincère.

La réforme agraire

En mai 1959, il lance la réforme agraire : les terres sont désormais gérées par l’Institut national de la réforme agraire (INRA), doté d’une puissante milice et présidé par lui-même. Avant la fin de l’année 1959, Castro centralise l’ensemble des pouvoirs. Auprès de lui, Raül, devenu ministre de la Défense et rouage essentiel des services de renseignements – le G2 -, se charge des basses besognes. Notamment de l’élimination symbolique ou physique des anciens compagnons de route, comme Camilo Cienfuegos (qui meurt dans un mystérieux accident d’avion) ou Huber Matos (envoyé en vice-président du Conseil des ministres de l’URSS, est reçu à bras ouverts).

Bras droit de Nikita Khrouchtchev, il propose à Castro un accord d’importance : contre du sucre cubain, l’Union soviétique fournira machines, pétrole et équipements divers.

La nationalisation des entreprises américaines !

Le 4 mars de la même année, le cargo français La Coubre, chargé d’explosifs, explose dans le port de La Havane. Pour Castro, l’attentat est signé des Américains. « Patria o muerte, venceremos ! » tonne-t-il pour la première fois. Castro a tombé le masque, il peut accueillir tous les apprentis guérilleros à Cuba et nationaliser les entreprises étrangères installées sur l’île – y compris la puissante United Fruit. Le grand Fidel et le rondouillard Nikita s’embrassent devant les caméras, aux Nations unies. Les bateaux soviétiques livrent des armes aux Cubains.

L’attaque de la baie des cochons

Les États-Unis rappellent leur ambassadeur et décrètent un embargo sur les produits américains à destination de La Havane. À l’intérieur, Castro consolide son pouvoir via les Comités de défense de la Révolution. Les opposants sont éliminés.

En janvier 1961, John Fitzgerald Kennedy trouve sur son bureau le plan d’invasion de Cuba concocté par la CIA avec les exilés cubains. Il maintient l’opération, sans enthousiasme, ignorant que de nombreuses «fuites» ont déjà alerté Castro.

Le 15 avril 1961, des bombardiers américains B26 pilotés par des exilés cubains détruisent des avions leurres sur le tarmac des bases cubaines. Deux jours plus tard, la brigade 2056 se jette dans la gueule du loup dans la Ciénaga de Zapata – connue sous le nom de « baie des Cochons ». L’opération tourne au désastre. JFK n’intervient pas ; les exilés cubains ne lui pardonneront jamais. Castro, lui, exulte. Il vient de damer le pion aux Yankees. Pour le monde, il incarne la résistance à l’impérialisme.

La crise des fusées : le monde tremble

Ses campagnes d’alphabétisation (et de propagande) séduisent au-delà des frontières du pays. Mais, l’économie ne suit pas, les récoltes sont insuffisantes, la production de sucre s’effondre et il faut avoir recours au rationnement. De l’autre côté du détroit de Floride, les États-Unis ruminent. Par l’intermédiaire de Marita Lorenz, dernière conquête de Fidel, « achetée » par la suite par la CIA, ils ont en vain tenté d’assassiner Castro. Ils préparent désormais l’opération « Mangouste » pour reprendre l’île en main. Informé par le KGB, Khrouchtchev se décide à agir et impose à un Castro plutôt réticent l’installation de missiles à ogives nucléaires. Les avions de reconnaissance américains U2 découvrent les fusées, et JFK met en place un blocus naval. Le monde tremble : la Troisième Guerre mondiale semble sur le point d’éclater.

La crise dure presque quinze jours, au bout desquels le statu quo l’emporte. En échange d’un retrait soviétique, les États-Unis n’interviendront pas à Cuba et retireront les missiles Jupiter pointés vers l’URSS en Turquie.

La mort de Che Guevara en Bolivie

Vraisemblablement, le chef de l’État cubain était prêt à aller jusqu’au bout, mais, mis sur la touche, il n’a pas eu les moyens de laisser éclater sa colère. L’aide économique de l’URSS était vitale : Castro a troqué l’indépendance contre des crédits et du pétrole et lâche le Che, trop «. Doctrinaire », selon les hiérarques du Kremlin. À vrai dire, Castro n’est peut-être pas mécontent de l’affaire. Ernesto Guevara a porté la bonne parole aux Nations unies et même réussit à rencontrer Mao. Il commence à faire de l’ombre à Fidel, qui, en 1965, l’envoie se battre au Congo. Le Che ne comprend rien à l’Afrique et le fiasco est total. En 1966, le G2 l’exfiltre vers Cuba et Castro l’aide à repartir pour la Bolivie afin d’y créer une école de guérilla. Sans soutien, le Che sera capturé et exécuté, en octobre 1967, dans la petite école de La Higuera. Fidel, qui l’a envoyé au casse-pipe, lui organise des funérailles nationales. La révolution a ses saints et ses martyrs…

L’aventurisme et la dictature

La fièvre de l’aventurisme reprend Castro. Proche de Moscou, soutient l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes du pacte de Varsovie et encourage les guérillas sud-américaines, au Guatemala, au Venezuela ou en Colombie. À Cuba, la presse est bâillonnée, les homosexuels opprimés, les opposants pourchassés. Fin 1975, dix ans après sa création, le Parti communiste tient son premier congrès. Le président fantoche Osvaldo Dorticos cède la place au président du Conseil d’État, Fidel Castro, le 2 novembre 1976.

Modification de la donne par Jimmy Carter

L’élection du démocrate Jimmy Carter à la Maison Blanche permet une certaine détente avec les États-Unis. L’embargo pourrait être levé, à condition que Castro desserre l’étreinte qui étouffe les Cubains et renonce à s’impliquer en Afrique. Les exilés peuvent enfin rendre visite à leur famille ; et, en 1979, 3 000 prisonniers politiques sont libérés. Une brise de liberté souffle sur Cuba. L’Etat se désengage – légèrement – et un maigre secteur privé apparaît. Ce n’est pas suffisant. Au début d’avril 1980, un bus rentre en force dans l’ambassade du Pérou et tous ses passagers demandent l’asile politique. Bientôt, les candidats à l’exil affluent dans l’ambassade ouverte. Plutôt que de choisir le bain de sang, Castro autorise une émigration massive. C’est l’occasion pour lui de placer ses espions, mais aussi de se débarrasser des « indésirables » : les chômeurs, les criminels, les homosexuels et les dissidents ! Ils sont 125 000 à quitter le port de Mariel pour le « rêve américain »

L’Afrique

En Afrique, Cuba n’a pas cessé d’intervenir depuis les années 1960. En Ethiopie, où le « Négus rouge » Mengistu Haïlé Mariam a pris le pouvoir. En Angola, surtout, où Castro se permet un remarquable coup d’éclat. Un vétéran de la guérilla castriste, Arnaldo Ochoa, y est envoyé pour barrer la route aux troupes sud-africaines. Il remporte une victoire éclatante à Cuito Cuanavale. Castro peut désormais se targuer d’avoir combattu l’apartheid ! Il a bien besoin de ce genre de publicité.

Dictature totale à Cuba

Le Républicain Ronald Reagan a durci l’embargo et, à l’Est, la mise en place de la Glasnost, puis de la Perestroïka sonne le glas du soutien financier de l’URSS. Soit 4 milliards de dollars par an. Forcé de se tourner vers les démocraties occidentales, Castro va-t-il assouplir son régime ? Au contraire, accusé de trafic de drogue, le «héros » Arnaldo Ochoa est jugé au cours d’un procès dans la plus pure tradition stalinienne, puis exécuté. Les cubains ploient sous le joug : les magasins sont vides, les transports, l’électricité et la nourriture sont rationnés, les malades du sida sont parqués dans des « sidatoriums », la presse libre n’existe pas.

Le flirt avec l’église catholique

Jeune cubain exilé à Paris, Fernando, 34 ans, raconte : « Au départ, on avait le soutien de l’URSS, mais au début des années 1980 tout a commencé à changer difficile pour manger, pour s’habiller, pour tout. J’ai eu l’idée de partir par la mer, mais c’est très risqué. » Au début des années 1990, des milliers de balseros tentent la traversée sur des embarcations de fortune. Castro continue de fustiger les Yankees et leur fait porter la responsabilité de tout ce qui ne tourne pas rond à Cuba. La vie est devenue vieillissante, le dictateur reste un politicien retors. Ainsi, effrayé à l’idée que l’Église cubaine devienne, à l’instar de ce qui s’est passé en Pologne, un foyer de contestation, Castro manie la carotte et le bâton. Il surveille les évêques de près, mais rend visite à Jean-Paul II en 1995 et le reçoit en 1998. Le pape le serre en critiquant l’embargo.

L’affaire du petit Elian Gonzalez

En matière d’économie, la fin des années 1990 et le début du XXIe siècle sont marqués par des assouplissements. Le dollar a été légalisé en 1994. L’île s’ouvre au tourisme et accueille des joint-ventures. La jeunesse cubaine n’y trouve pas toujours son compte. « Les jeunes n’ont pas d’endroit où aller, raconte Fernando, car la plupart des lieux sont réservés aux touristes et on n’a pas d’argent pour payer. Si tu discutes avec eux, la police va te demander de quoi tu parles, ton identité, et si tu continues, tu vas en prison. » Pour exister sur la scène internationale, Castro est encore capable de coups d’éclat stupéfiants. En 1999, le père en lui se réveille habilement lors de l’affaire du petit Elian Gonzalez, naufragé de 6 ans tiraillé entre son père resté à Cuba et sa famille « américaine » de Miami. Au terme d’une longue bataille judiciaire, l’administration Clinton renvoie l’enfant chez lui. Un geste qui coûtera aux démocrates les voix des exilés cubains qui leur ont manqué pour battre George W. Bush aux élections de 2000.

Une atmosphère de fin de règne

À Cuba, l’atmosphère a des relents de fin de règne. Castro amuse la galerie avec ses gesticulations : il fustige les auteurs des attentats du 11 septembre 2001, lance une grande offensive contre les moustiques, propose son aide quand Katrina dévaste la côte américaine… En face, George W. Bush ne cache pas le peu de cas qu’il fait de Castro : sous son nez, en dehors de toute légalité internationale, il transforme la base de Guantânamo en prison pour terroristes présumés…

Quand le fondateur du Mouvement chrétien de libération, Oswaldo Paya, lance le projet Varela, une pétition dont l’objectif est de permettre une révision de la Constitution pour sortir de la dictature, Castro frappe. Quatre-vingts dissidents sont emprisonnés, à l’exception de Paya. Une attention qui ne trompe personne : Castro donne le change pour ne pas s’attirer les foudres de la communauté internationale. Mais déjà, il ne peut que constater l’inéluctable. Si la violence des sentiments anti-américains aiguisés par l’arrogance des néoconservateurs au pouvoir à Washington lui assure un certain crédit auprès des mouvements opposés à l’impérialisme made in USA, il n’est plus le Grand Satan qu’il incarnait autrefois

Cuba en a marre

Oussama Ben Laden, Mahmoud Ahmadinejad ou même Kim Jong-Ils, ont repris ce rôle. Son aura reste pourtant intacte dans les cercles où l’on chante toujours le même refrain : alphabétisation, éducation, système de santé gratuit… S’il reconnaît les aspects positifs de l’éducation gratuite, Fernando s’insurge contre certaines idées reçues : « Il y a plein de médecins qui font taxi pour gagner de l’argent. D’accord, les hôpitaux sont gratuits. Mais il n’y a pas de médicaments. Castro, on a appris à l’école que c’est notre second père. Mais on en a marre, on n’a pas droit aux élections, on ne peut pas voyager, on a intranet mais pas d’Internet, on est surveillés vingt-quatre heure sur vingt-quatre. »

Victoire du temps et de la maladie sur Castro

Avec le temps, la santé s’en va : en juin 2001, Castro s’évanouit en public ; en octobre 2004, à Santa Clara, il tombe et se fracture le genou gauche ; en juillet 2006, il subit une opération complexe et cède le pouvoir à son frère Raul. On ne remonte pas cette pente-là. Fatigué, le tyrannosaure des Caraïbes a pris une décision dont la sagesse surprend : se retirer avant de mourir.

La mort de Castro

Le père de la Révolution cubaine Fidel Castro est décédé vendredi 25 novembre 2016 soir à La Havane à l’âge de 90 ans, a annoncé son frère Raul, qui lui a succédé au pouvoir en 2006.

« Le commandant en chef de la Révolution cubaine est décédé à 22 h 29 ce soir », a annoncé Raul Castro en lisant une déclaration sur l’antenne de la télévision nationale.

A La Havane, les rues sont restées calmes dans la nuit de samedi en raison de l’heure tardive de l’annonce de sa mort, rapporte l’Agence France-Presse. Plusieurs habitants ont toutefois exprimé un chagrin qui contrastait avec les scènes de liesse observées à Miami, capitale officieuse de la diaspora anticastriste.

A Miami, des exilés cubains se sont réunis dans les rues en brandissant des drapeaux, dansant et tambourinant sur des poêles et des casseroles, selon plusieurs vidéos diffusées par des médias américains et sur des réseaux sociaux.

Le monde venait de voir ainsi disparaître une de ses légendes vivantes.

Dossier réalisé par kemebreama@hotmail.com

Sources, Jeune Afrique N°2459 DU 24 février au 1er MARS 2008

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