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Miguel Diaz-Canel, un civil de 57 ans, est devenu le jeudi 19 avril 2018, le nouveau président de Cuba, engageant ce pays dans une transition historique qui s’inscrit toutefois dans la droite ligne du régime castriste. Ce dernier s’est donné pour mandat de «poursuivre la révolution cubaine dans un moment historique crucial», mais aussi, les réformes économiques entamées par Raul Castro, dans le but de «perfectionner le socialisme».
Cet événement constitue une autre révolution matérialisée par la fin d’un pouvoir vieux de 59 ans (1er janvier 1959) incarné par deux frères en l’occurrence, Fidel et Raul Castro
Actualité et évènement obligent, nous avons décidé d’ouvrir ce dossier sur ces deux frères qui auront marqué le 20ème siècle avec un pouvoir communiste qui a défrayé la chronique
De prime abord, nous allons nous intéresser à Fidel Castro en vue de faire la lumière sur sa vie et son parcours qui ont suscité tant de passions. Cependant, en arrière-plan, nous allons nous intéresser à Raul Castro qui a grandi à l’ombre de son frère et qui a dirigé Cuba pendant 6 ans (à la mort de son frère) avant de passer la main à son successeur.
Mais l’on ne peut parler des frères castro sans faire allusion à Che Guevara un autre mythe dont les images continuent de faire vibrer les cœurs et qui a côtoyé les frères castro
PREMIERE PARTIE : DE L’ENFANCE A LA PRISE DE LA HAVANE EN 1959
L’HOMME.
Fils adultérin né d’une domestique
Né le 13 août 1926 à Birân, dans la Provincia de Oriente, Fidel Ruz a dû attendre l’adolescence pour porter le patronyme de Castro. Et pour cause : il est né d’une relation adultérine.
Originaire de Galice, son père, Ângel Castro Arguiz, découvre Cuba comme soldat de la couronne espagnole. Quand l’île tombe dans l’escarcelle américaine, il rentre chez lui pour trouver sa fiancée dans les bras d’un autre. Il reprend aussitôt le bateau pour La Havane, s’installe à Birân, se consacre à son bétail et épouse une institutrice, Maria Luisa Argota. Ils ont deux enfants. Don Ângel Castro règne sur ses terres, ses bovins et ses employés
Naissance sous le nom de Fidel Ruz,
Quatorze ans plus tard, Ângel Castro embauche une nouvelle domestique, Lina Ruz. Elle devient bientôt sa maîtresse et donne naissance à une petite fille, Angela, puis à un fils, Ramon. Maria. Luisa Argota Castro part s’installer à Santiago avec ses deux enfants. Lina accouche de son troisième enfant en août 1926. Il s’appellera Fidel. Fidel Ruz, parce que Ângel et Lina ne sont pas mariés.
À l’âge de 4 ans, Fidel est envoyé chez un tuteur, Luis Hippolyte Alcides Hibbert, à Santiago. L’homme est sévère et violent. Comme le raconte Serge Raffy dans la biographie du commandante. Au collège de La Salle tenu par les frères maristes, Fidel doit supporter les quolibets de ses camarades qui le traitent de « sale juif », insulte réservée aux enfants non baptisés.
Un enfant rebelle
Résultat : il se montre indomptable. Jusqu’au jour où il agresse un prêtre qui a eu l’outrecuidance de le gifler ! Fidel est renvoyé. Son tuteur promet de tout faire pour qu’il reçoive le baptême. C’est chose faite en janvier 1935. Fidel a alors 8 ans et demi. Il ne s’appelle toujours pas Castro. Il réintègre alors le collège de La Salle avec ses deux frères, Ramon et Raul, son cadet né en 1931. Fidel est le chef : les trois garnements jouent aux caïds. De nouveau flanqués à la porte, ils se retrouvent réunis chez leur père, qui décide de les reprendre en main. Fidel le rebelle menace de mettre le feu au domaine et insiste pour poursuivre ses études. Il est renvoyé chez son tuteur où il va suivre l’enseignement de la belle Mercedes Danger. Celle-ci lui communique une intense soif de savoir et, après un séjour de trois mois à l’hôpital pour une grave crise d’appendicite, il entre chez les jésuites du collège Dolores de Belen. Il y apprécie la stricte discipline et les randonnées sac au dos dans les collines. Il se métamorphose en bon élève – sa mémoire est phénoménale – et trouve un exutoire dans la pratique du basket, du base-ball et de la pelote basque. Il y excelle. Perdre, déjà, il déteste ça.
1940, le « bâtard » prend le nom de son père
En 1940, le « bâtard » peut enfin prendre le nom de son père grâce à un certain Fulgencio Batista. Élu président de la République, ce dernier instaure à Cuba une démocratie parlementaire dont la Constitution autorise le divorce. Redevenu un élève « parmi d’autres», Fidel va chercher à se distinguer dans toutes les matières, s’entraînant la nuit et le week-end pour être le meilleur au basket. Il est le premier à prendre des risques dans les expéditions de son groupe de scouts : Los Exploradores.
Intérêt pour la politique
Ambitieux, dévoré par le désir d’être reconnu, Castro entre à l’Académie Avellaneda pour parfaire sa rhétorique et maîtriser une voix qu’il trouve « trop haut perchée, un peu nasillarde, trop féminine ». En 1945, il entame sa première année de droit à l’université de La Havane, où la politique anime les cœurs et les esprits. Grandes idées et armes à feu font bon ménage au sein des bandes nationalistes qui s’affrontent. Ce climat de violence plaît à Castro, qui multiplie les zigzags politiques et les coups d’éclat.
Sa tête mise à prix
Déjà, il harangue ses camarades depuis l’Escalinata, l’escalier de pierre situé à l’entrée de l’université. En janvier 1947, il se fait remarquer? avec un texte violent contre le président Ramon Grau San Martin, élu contre Batista trois ans plus tôt. Pis, il trempe vraisemblablement dans une tentative d’assassinat contre Rolando Masferrer, ancien membre du Mouvement socialiste révolutionnaire (MSR), qui a accepté le poste de chef de la police secrète du gouvernement. Ce genre d’action ne pardonne pas. Désormais, la tête de Castro est mise à prix. Il se procure un Browning et tente d’échapper à la traque en évitant de dormir deux fois au même endroit ! Rester à La Havane est trop risqué. Il se réfugie à Banes, chez son ami Rafael Diaz Balart, d’où il négocie son sort à distance.
Participation à un putsch à Saint-Domingue
Il propose pour cela de se rallier à une opération organisée par le MSR et visant à libérer Saint-Domingue, alors sous la coupe du dictateur Rafael Trujillo. La proposition est acceptée et Castro embarque pour l’îlot de Cayo Confites où se prépare un embryon d’armée rebelle. La Havane, sous pression américaine, intervient, et Fidel a juste le temps d’échapper à la rafle organisée contre les putschistes. Rentré à l’université, Castro embellit les circonstances de sa fuite – il aurait gagné la terre ferme à la nage – et profite de l’occasion pour fustiger le président Grau, vendu à la CIA. Il se rapproche alors du sénateur Eddy Chibas (1907-1951), qui incarne la lutte contre la corruption du régime, et monte l’un de ces « coups médiatiques » qui lui permettront, plus tard, d’asseoir sa popularité. Il fait rapatrier à La Havane la demajagua, cloche mythique qui symbolise l’indépendance pour les Cubains.
Un autre coup d’Etat en Colombie
Membre du Parti orthodoxe, Castro a dû, pour réaliser cet « exploit», se rapprocher du Parti socialiste progressiste, le Parti Communiste cubain. En novembre 1947, la photo de Castro enlaçant la cloche est à la une des journaux, mais devenant de plus en plus voyant, il réveille bien des rancunes. Et quand le chef du MSR, Manolo Castro, est assassiné, en février 1948, il ne peut y avoir qu’un coupable : Fidel Castro. Pendant un temps, il se déplace avec des gardes, du corps armés jusqu’aux dents. Il n’a finalement qu’une seule solution : se faire oublier. Il prend l’avion le 20 mars, direction le Venezuela, le Panama et la Colombie. A Bogota, il participe à l’insurrection (le Bogotazo) qui suit l’assassinat du chef de l’opposition, Jorge Eliécer Gaitân. Recherché par la police colombienne, il doit fuir le pays via l’ambassade cubaine !
Agent dormant du KGB
De retour à Cuba, il épouse Mirta, la sœur de son ami Rafael Diaz Balart. Toujours membre du Parti orthodoxe, Castro dirige ses foudres contre le nouveau président du pays, Carlos Prio Socarràs (1903-1977). Selon Serge Raffy, c’est à cette époque que Castro est approché par Abraham Semjovitch, alias Fabio Grobart, « chargé de constituer le réseau caraïbes, une organisation secrète suppléant dans la région le défunt Kominterm ». Contre un soutien financier, Fidel devient un agent dormant du KGB, violemment anti-impérialiste mais officiellement anticommuniste !
Docteur en droit international et en Sciences sociales
Le 1er septembre 1949, Mirta Castro donne naissance à un fils : Fidelito. Heureux, Fidel n’en devient pas pour autant un père modèle. Ses coups d’éclat politiques le mettent de nouveau en danger. Il disparaît trois mois durant aux États-Unis et en revient transformé. Il reprend ses études pour devenir en un temps record docteur en droit, en droit international et en sciences sociales. En 1950, il ouvre son cabinet d’avocats. Les procès lui servent de tribune politique. Un an plus tard, le chef du Parti orthodoxe Eddy Chibas se suicide en direct à la radio d’un coup de revolver dans le ventre après avoir accusé de corruption – sans preuves – le président Carlos Prio Socarrâs. Le dauphin Castro est propulsé en première ligne. En quelques mois, il réunit les preuves manquantes et, le 28 janvier 1952, porte plainte contre le président.
15 ans de prison pour coup d’Etat
Castro prisonnier
Si l’agit-prop profite à quelqu’un, ce n’est pas à lui. Le 10 mars 1952, Fulgencio Batista s’empare du centre de commandement de l’armée et se proclame président. Castro, en retour, entreprend de constituer une organisation militaire, le Mouvement. Comment trouver des armes ? Fidel Castro décide d’attaquer la caserne de la Moncada, à Santiago, le 26 juillet. L’opération est un lamentable fiasco. La Buick pilotée par Castro finit contre un trottoir. Les assaillants sont faits prisonniers ou exécutés. Réfugié dans la sierra, à Gran Piedra, Fidel Castro est arrêté le 16 août par un peloton de gendarmerie. A la prison de Boniato, il retrouve son frère Raül. Lors de son procès, Castro attaque. Il se lance dans une plaidoirie interminable peuplée de références à l’apôtre de l’indépendance José Marti, aux philosophes français des Lumières et à la Bible. À la fin de son discours, il prononce une phrase pour la postérité : « Condamnez-moi, cela n’importe guère. L’Histoire m’acquittera ! » Il écope de quinze ans de prison.
L’exil
Le 15 mai 1955, Fulgencio Batista commet une grave erreur. Elu sans opposant président de la République, il libère les assaillants de la Moncada. Selon la CIA, Castro n’est pas communiste. Fils d’un grand propriétaire terrien, élevé par les frères marxistes, aux idées proches du franquisme, c’est un caudillo en herbe ! En réalité, il n’a qu’un objectif : reprendre les armes. Le Mouvement devient le M26 en référence à l’attaque du 26 juillet.
A La Havane, sa popularité a grandi. Son ennemi préféré reste Batista, qu’il agonit de provocations. Résultat : la police se lance à ses trousses et il doit prendre la route de l’exil. Le Mexique sera sa terre d’accueil.
9 juillet 1955 : la rencontre avec CHE Guevara.
C’est à Mexico, au 49 de la rue Emparân que, le 9 juillet 1955. Fidel Castro rencontre un jeune Argentin aux poumons fragiles, Ernesto Guevara. Entre eux, l’entente est immédiate, et le « Che » se dit prêt à prendre les armes contre Batista. Inspiré par l’exemple du Mexique et de son président, Lâzaro Cardenas, Fidel rédige un manifeste en quinze points qui n’a rien d’un programme léniniste. Ses plans sont d’abord militaires : il veut débarquer à Cuba et s’emparer du pouvoir. L’argent qui manque, il part le chercher aux États-Unis, où il annonce qu’en 1956 son armée de libération sera à pied d’œuvre ! Le mot est un peu prétentieux pour désigner les quelques apprentis guérilleros qui s’entraînent au maniement des armes en appartement ; et maintiennent leur forme physique en pratiquant la varappe sur les flancs du Popocatépetl et de L’Ixtaccihuatl. Cela n’empêche pas Fidel et Raül Castro de leur imposer une discipline de fer.
Fulgencio Batista le président cubain avant castro
Au bout d’un moment, l’agitation des exilés cubains et la pression des services de Batista poussent la police mexicaine à agir. Castro est arrêté et, une fois de plus, il profite de son procès pour se lancer dans d’interminables diatribes contre la corruption. Il parvient, malgré les accusations de trafic d’armes qui pèsent sur lui, à se faire libérer. Au cours de l’été 1956, Fidel Castro se procure un bateau de tourisme, le Granma, grâce à l’argent obtenu auprès de l’ancien président cubain Carlos Prio Socarrâs – enrichi par des années de corruption !
2 décembre 1956 : Attaque manquée contre Batista
Le 2 décembre 1956, après une tempête mémorable, Castro pose de nouveau le pied sur le sol cubain à la tête des quatre-vingt-deux hommes entassés dans le rafiot. L’opération est un fiasco, mais Batista est trop pressé de fêter sa victoire. En annonçant la mort de Castro, il lui fournit l’occasion d’une résurrection.
Mi-décembre, les rescapés du débarquement ont rejoint la Sierra Maestra et se retrouvent dans une ferme, sur la commune de Plurial de Vicana. Ils sont vingt. C’est peu, mais à défaut de mener des actions décisives, ils peuvent faire du bruit. Castro va multiplier les coups médiatiques. Son charisme lui permet d’embobiner l’envoyé spécial du New York Times et bien des reporters séduits par son allure de Robin des Bois barbu et ses airs de Jésus-Christ.
La légende vient de naître : cigare à la bouche, treillis vert olive, un homme seul ou presque se dresse contre la dictature. Même la CIA semble prête à financer sa lutte.
L’homme prend du coffre
Dans la Sierra, l’armée de Fidel s’étoffe. Elle reçoit des armes du Costa Rica. Elle diffuse sa propagande grâce à Radio Rebelde. Elle alphabétise les paysans dans la région qu’elle contrôle. Fin mai 1958, Batista lance une opération d’envergure contre les Barbudos : il envoie près de 10000 hommes dans la Sierra. Mais le dictateur n’a plus les moyens de se faire entendre : ses méthodes violentes ont poussé les États-Unis à déclarer un embargo sur les ventes d’armes. En juin, les rebelles prennent 49 citoyens américains en otages. Castro temporise, fait croire à des problèmes de communication avec son frère Raul, qui, dans la Sierra de Cristal où il dirige la guérilla, entreprend déjà de jeter les bases d’un système de gouvernement marxiste. Batista – « Mister Yes », comme on le surnomme à cause de sa proximité avec les Américains espère toujours que ces derniers vont venir à son secours. L’administration Eisenhower ne mesure pas la menace que représente Castro.
La prise de la havane
Pendant ce temps, Ernesto Guevara et Camilo Cienfuegos, à la tête de 230 guérilleros, prennent le contrôle de la région de l’Escambray. Dans l’armée régulière, les désaffections se multiplient. Huber Matos et Juan Almeida lancent l’assaut contre Santiago.
Le 2 janvier, fusil à la main, Castro entre en vainqueur dans la ville. Les Américains viennent de se rendre compte que le M26 est noyauté par les communistes. Trop tard. Batista fuit vers la République dominicaine, puis l’Espagne de Franco. Castro nomme Manuel Urrutia président de la République. La Havane tombe une semaine plus tard.
Dossier réalisé par kemebreama@hotmail.com
Sources, Jeune Afrique N°2459 DU 24 février au 1er MARS 2008
A suivre